Question 4 : La création de la matière sans forme.
1.On cherche si la création de la matière sans forme a précédé la création en durée.
2. Si la matière informe a existé toute en même temps ou successivement.
Article 1 : La création de la matière sans forme a-t-elle précédé la création en durée ?
Il semble que non.
Objections :
1. Parce que, comme le dit Augustin (La Genèse au sens littéral, I, 15) la matière sans forme précède la matière qui en est formée, de même que la voix précède le chant. Mais la voix ne le précède pas en durée, mais seulement en nature. Donc la matière sans forme ne précède pas les choses en forme, en durée, mais seulement en nature.
2. Mais on pourrait dire quAugustin parle de la matière par rapport à sa formation par les formes des éléments ; ces formes qui ont existé aussitôt au commencement dans la matière.
En sens contraire : leau et la terre sont des éléments, le feu et lair aussi. Mais lÉcriture rapportant l'absence de forme de la matière fait mention de la terre et de l'eau. Donc si la matière, au commencement, avait eu des formes élémentaires, à raison égale, elle aurait fait mention de lair et du feu.
3. La forme substantielle est avec la matière la cause des qualités accidentelles, comme le montre le philosophe (Physique, I). Mais les qualités actives et passives sont des qualités proprement accidentelles des éléments. Si donc les formes substantielles ont existé au commencement dans la matière, en conséquence, les qualités actives et passives y ont été, et ainsi il semble quil ne restait aucune absence de forme.
4. Mais on pourrait dire qu'il y avait absence de forme ou confusion au sujet de la situation [Dans cet article, je traduis situs par situation, alors que parfois le sens pourrait être espace] des éléments. En sens contraire : selon le Philosophe (Le ciel et le monde, IV, 5, 312 b 20) autant il y a déléments différents, autant il a de lieux ; car les éléments sont dans leur situation propre par le pouvoir de leur forme. Si donc la matière, dès le commencement, avait des formes substantielles, alors en conséquence, chaque élément avait sa situation et ainsi il ne demeurait aucune confusion dans les éléments qui permette de dire que la matière pouvait être sans forme.
5. Si pour autant on dit que la matière est sans forme, parce que les éléments nétaient pas encore dans leur situation propre et naturelle, il semble en conséquence, qu'on comprend sa mise en forme, comme une situation naturelle qui lui est attribuée. Mais cela napparaît pas dans la distinction, car certaines eaux sont placées au-dessus des cieux ; alors que cependant leur situation naturelle est en dessous de lair, immédiatement sur la terre ; comme on le voit dans Le ciel et le monde, IV, 5, 312 b 5). Donc on ne comprend pas l'absence de forme de la matière comme une confusion de situation.
6. Mais il faut signaler qu'on dit que les eaux sont au-dessus des cieux, dans la mesure où elles sétaient élevées sous forme de vapeur pour sy trouver. En sens contraire, les eaux sous forme de vapeur ne peuvent pas sélever au-dessus de latmosphère, comme le prouvent les philosophes ; au contraire elles montent seulement jusquà lintervalle intermédiaire de lair. Donc elles peuvent beaucoup moins s'élever au-dessus du feu, comme plus loin au-dessus du ciel.
7. L' absence de forme de la matière est signalée par ce qui en est dit (Gn. 1, 2) La terre était vide et déserte. Mais le vide est attribué à la matière en rapport avec le pouvoir générateur et le désert avec lornement, qui, comme les Saints l'ont exposé, consiste en ce qui se meut sur terre. Donc l'absence de forme de la matière ne concerne pas la situation, de sorte quon puisse dire ainsi quelle a précédé sa formation dans la durée.
8. Qui peut donner quelque chose, en une seule fois, agit avec moins de libéralité sil donne de manière successive. C'est pourquoi, on lit Prov. 3, 28 : Ne dis pas à ton ami : Va et reviens ; demain je te le donnerai. Mais Dieu pouvait donner en même temps un être parfait aux choses. Donc comme il est suprêmement généreux, il na pas fait la matière sans forme avant sa formation.
9. Le mouvement du centre au centre suit les éléments selon quil ont des situations naturelles. Mais dans l' absence de forme même de la matière, il apparaît quil y avait un mouvement du centre au centre, parce que les eaux qui pouvaient se vaporiser sétaient élevées au-dessus de la terre, comme on le dit. Donc les éléments avaient déjà leurs situations naturelles.
10. La plus ou moins grande densité est cause du lourd et du léger, comme cela paraît en Physique, IV, com. 84. Mais déjà le dense et le moins dense étaient dans les éléments, parce qu'il est dit que les eaux étaient plus denses, que maintenant. Donc il y avait le lourd et le léger, et les éléments avaient leur place, qui leur était attribuée en raison de leur légèreté ou de leur densité.
11. Dans cette absence de forme, il apparaît manifestement que la terre avait sa situation et il est donné à comprendre qu'elle était recouverte par les eaux, cest pour cela quil est dit (Gn. 1, 9) :Que les eaux soient rassemblées en un seul lieu, et quapparaisse le terre sèche. Donc à raison égale les autres éléments avaient leur place, et ainsi il ny avait nulle absence de forme dans la matière.
12. Leffet parfait vient dun agent parfait ; parce que tout agent fait du semblable à soi. Mais Dieu est lagent absolument parfait. Donc, au commencement, il produisit la matière parfaite et ainsi mise en forme, puisque la forme est la perfection de la matière.
13. Si la matière informe a précédé la formation en durée, ou bien la matière existant ainsi manquait de toute forme, ou bien elle en avait une. Si elle manquait de toute forme, elle était alors seulement en puissance et non en acte ; et ainsi elle nétait pas encore créée, puisque la création se termine à lêtre. Mais si elle avait une forme, ou celle-ci était une forme élémentaire, ou la forme dun mixte. Si cétait une forme élémentaire, ou bien elle avait seulement une forme ou des formes diverses. Si elles étaient diverses, donc il y avait déjà de la diversité par les diverses formes élémentaires. S'il n'y en avait qu'une, il en découle qu'une forme de lélément serait naturellement dans la matière avant les autres, et ainsi un seul élément était le principe des autres, comme les très anciens Naturalistes le pensaient, disant quil nen existait quun seul. Ce qui est désapprouvé par le philosophe (La génération et la corruption, II, 5, 331 b 5). Si elle avait la forme dun mixte, alors celle-ci est naturellement dans la matière avant la forme des éléments, ce qui paraît faux, parce que le mélange ne se fait que si quelque chose amène les éléments à la forme du mixte. Donc il n'est pas possible que la matière ait été sans forme avant dêtre en forme.
14. Mais on pourrait dire que la matière avait la forme des éléments ; mais pas de la manière dont ils existent maintenant, parce que les eaux étaient plus rares et mêlées à lair sous forme de vapeur.
En sens contraire, la forme de chaque élément requiert une mesure déterminée de plus ou moins grande densité, sans laquelle elle ne peut pas exister. Mais la faible densité par laquelle quelque chose monte dans un espace de lair dépasse la condition de leau, parce que sa nature est d'être plus lourde que l'air. Donc s'il y avait une telle subtilité que les eaux montent à la place de l'air sous forme de vapeur, elles navaient pas la nature de l'eau, et ainsi il n'y avait pas de formes élémentaires dans la matière ; on a dit le contraire ci-dessus.
15. Par luvre des six jours, différents genres dêtres ont été formés à partir de la matière informe. Mais parmi les autres uvres des six jours, le firmament a été formé le second jour. Si donc la matière informe dépendait des formes élémentaires, il en découlerait que le ciel a été fait à partir des quatre éléments, ce qui est refusé par le Philosophe (Le ciel et le monde, I, com. 5 et s.)
16. De la même manière que le corps naturel se comporte vis-à-vis de sa nature, la matière se comporte vis-à-vis de la forme. Mais un corps naturel ne peut pas exister sans son aspect. Donc la matière ne peut pas exister sans forme.
17. Si la formation de la matière na pas eu lieu au début de sa création, alors le rassemblement des eaux qui eut lieu le troisième jour, na pas toujours existé. Mais cela paraît impossible, parce que, si les eaux couvraient la terre de tous côtés, il ny avait pas de lieu où elles puissent se rassembler. Donc il semble que la matière sans forme naura pas précédé la mise en forme des choses. Mais que leau ait couvert la terre de tous côtés, cela apparaît du fait que les éléments ont été séparés, comme on le prouve dans Le ciel et le monde (III, texte 56 et s.)
18. Mais on pourrait dire qu'il y avait une cavité sous la terre où les parties descendirent et ainsi, elle offrit la terre comme espace pour les eaux. En sens contraire, ces cavités ou ces trous ont été causés dans la terre à cause des pierrailles qui ont soutenu les parties supérieures de la terre, pour quelles ne descendent pas en son centre ; ce qui alors était impossible ; puisque les pierres sont des corps mixtes ; il en découlerait que le corps mixte aurait existé avant la formation des éléments. Donc de telles cavités ne pouvaient pas exister.
19. S'il existait des cavités dans la terre, elles ne pouvaient pas être vides. Donc elles étaient emplies dair ou deau, ce qui paraît impossible, puisque s'enfoncer dans la terre serait contre la nature de ces deux éléments.
20. Ou l'eau qui recouvrait la terre de toutes parts avait une situation naturelle ou pas. Si elle en avait une, l'eau nen pouvait être déplacée que par violence, parce qu'on ne déplace dun lieu que par violence le corps qui y repose naturellement. Mais cela ne fait pas partie du premier établissement des choses, par qui la nature est établie, à laquelle répugne la violence. Mais si cette situation de l'eau était violente, elle pouvait par sa propre nature revenir à cette disposition qu'elle n'avait pas ; parce quune chose séloigne naturellement d'un lieu dans lequel elle est établie avec violence, elle se meut naturellement ; et ainsi il ne fallait pas penser que cela faisait partie de la mise en forme que les eaux étaient rassemblées en un seul lieu.
21. Les choses ont été établies selon l'ordre qu'elles ont naturellement. Mais elles ont été séparées naturellement avant d'être mêlées, puisque le simple est naturellement avant le composé. Donc il n'a pas été convenable pour leur institution qu'elles aient été d'abord en une certaine confusion et qu'elles soient séparées ensuite.
22. Le passage de l'acte à la puissance n'appartient pas à l'institution des choses, mais plutôt à leur corruption : car les choses se font par le fait quelles sont ramenées de la puissance à l'acte. Mais procéder des mixtes aux éléments, c'est procéder de l'acte à la puissance, puisque les éléments sont comme la matière en rapport avec la forme du mixte. Donc il ne fut pas convenable pour l'institution des choses que d'abord elles soient faites dans une certaine confusion et un certain mélange et qu'elles soient séparées ensuite.
23.Cela paraît en accord avec les erreurs des anciens philosophes ; à savoir avec l'opinion d'Empédocle qui pensait que les parties du monde avaient été distinguées les unes des autres par conflit, puisque d'abord elles avaient été mêlées par amitié ; et avec celle d'Anaxagore qui a pensé que lorsque tout était ensemble à certains moments, l'intellect commençait à distinguer en séparant de ce qui était confus et mélangé. Ces opinions ont été suffisamment désapprouvées par les philosophes suivants. Donc il ne faut pas penser que l'absence de forme ou la confusion de la matière précéderait en durée la formation des choses.
En sens contraire :
1. Grégoire, quand il expose ce verset de l'Eccl. 18,1 : Celui qui vit éternellement a créé tout en même temps, (les Morales, XXXII, ch. 9, dans les exemplaires nouveaux), dit que tout a été créé en même temps par la substance de la matière mais non par la nature de la forme, ce qui n'était possible que s'il y avait eu la substance avant que la forme y soit. Donc la matière informe a précédé en durée la mise en forme des choses.
2. Ce qui n'existe pas ne peut pas avoir d'opération. Mais la matière sans forme en a une ; car elle désire la forme, comme on le dit (Physique III, com. 81). Donc la matière peut exister sans forme et ainsi il nest pas inconvenant de penser que celle-ci a précédé en durée la formation des choses.
3. Dieu peut faire plus que la nature. Mais la nature fait de l'être en puissance un être en acte. Donc Dieu peut faire d'un être simplement un être en puissance, et ainsi il a pu faire une matière qui existait sans forme.
4. On ne doit pas dire que ce que l'Écriture sainte dit avoir existé à un certain moment n'a pas existé, parce que Augustin dit (La Trinité, V) quaucun chrétien ne pense contre l'Écriture sainte. Mais celle-ci dit que la terre fut à certains moments vide et déserte. Donc il ne faut pas dire quà un certain moment la terre aura été vide et déserte. Cela concerne l'absence de forme de la matière de quelque manière qu'on l'expose. Donc à un certain moment, la substance de la matière a précédé sa mise en forme, autrement jamais elle aurait été sans forme.
5. La créature spirituelle et la créature corporelle ont est créées en même temps, comme cela a été démontré dans la question 3, article 18. Mais, dans la créature spirituelle, l'absence de forme a précédé sa mise en forme même en durée. Donc, pour la même raison, dans la créature corporelle aussi. Preuve intermédiaire : on comprend la mise en forme de la créature spirituelle selon qu'elle se tourne vers le Verbe qui est son illumination. Mais en même temps que la lumière a été faite, il y eut la division entre la lumière et les ténèbres. Et par les ténèbres, on comprend le péché dans la créature spirituelle. Mais le péché n'a pas pu existé au premier instant de la création des anges, parce que, alors, les démons n'auraient jamais été bons. Donc la créature spirituelle n'a pas été mise en forme au premier instant de la création.
6. Ce dont vient quelque chose précède aussi dans le temps ce qui en vient. Mais Dieu, de la matière invisible, qui est la matière sans forme, selon Augustin (La Genèse au sens littéral, I, ch. 15) a créé la terre, comme le dit la Sagesse, 11, 18. Donc la matière sans forme a précédé dans le temps la terre en forme. Preuve de la première (proposition) : Selon le philosophe (Physique 1, 6, 188 a 30 188 b 8) on peut exprimer le devenir des choses de deux manières :
1) Comme on dit : ceci est devenu cela par soi, ce qui convient au substrat, comme lorsquon dit : l'homme devient blanc ; par accident aussi comme d'une privation et d'un contraire, comme quand on dit le non blanc, ou le noir devient blanc.
2) D'une autre manière, comme on dit : ceci est fait de cela par soi ; ce qui ne convient au substrat qu'en raison de la privation. Car nous ne disons pas dun homme quil devient blanc ; mais que de non blanc ou de noir, il devient blanc ; ou même d'un homme noir ou non blanc. Donc ce de quoi vient quelque chose, est une privation ou son contraire, ou c'est une matière sujette à la privation ou au contraire. Mais des deux manières, il faut que ce de quoi quelque chose est fait le précède dans le temps, parce que les opposés ne peuvent être ensemble, et la matière ne peut pas être soumise à la privation et à la forme en même temps. Donc ce de quoi une chose est faite, précède dans le temps ce qui advient delle.
7. L'opération de la nature imite autant qu'elle le peut l'opération de Dieu, comme l'opération de la cause seconde imite celle de la cause première. Mais le processus de la nature, en opérant, fait passer de l'imparfait au parfait. Donc Dieu aussi a produit, dans le temps, l'imparfait avant et le parfait ensuite et ainsi la matière sans forme a précédé sa mise ne forme.
8. Augustin dit que là où, au commencement, l'Écriture fait mention de la terre et de l'eau, comme il est dit dans Gn. 1, 2 : La terre était vide et déserte et l'Esprit du Seigneur était porté sur les eaux, on ne désigne pas la terre et l'eau parce qu'elles étaient déjà telles, mais parce qu'elles pouvaient lêtre. Donc à certains moments, la matière première n'avait pas encore la forme de l'eau ou de la terre, mais elle pouvait seulement l'avoir. Et ainsi la matière sans forme a précédé sa mise ne forme.
Réponse :
Comme le dit Augustin (Confessions, XII) à propos de cette question, il peut y avoir une double discussion : 1) sur la vérité, 2) sur le sens de la lettre, par laquelle Moïse, divinement inspiré, nous a exposé le commencement du monde.
Pour la première discussion, il faut éviter deux écueils :
1) Sur cette question ne rien affirmer de faux, surtout qui contredise la vérité de la foi.
2) Ce que quelqu'un aura cru vrai, quil ne veuille pas affirmer aussitôt que cela concerne la vérité de la foi ; parce, comme Augustin le dit (Confessions, X) : Il fait du tort, s'il considère comme faux ce qui se rapporte à la forme même de la doctrine de la piété ; à savoir qu'il croit et qu'il ose affirmer avec opiniâtreté ce qu'il ignore. Il dit quon fait du tort, parce la vérité de la foi est tournée en dérision par les infidèles, quand un simple fidèle propose, comme appartenant à la foi, ce qui peut être démontré comme faux par des preuves très sûres, comme il le dit La Genèse au sens littéral, I.
Pour la seconde controverse, il faut éviter deux écueils.
1) Que personne ne dise qu'on doit comprendre que ce qui paraît faux, dans les paroles de lÉcriture qui enseigne la création. Car l'erreur ne peut pas se trouver dans l'Écriture divine rapportée par l'Esprit saint, ni non plus dans la foi, qu'elle enseigne.
2) Que personne ne veuille réduire ainsi l'Écriture à un seul sens, de sorte que seraient exclus complètement les autres sens qui contiennent en eux une vérité, et peuvent, si on tient compte du contexte, être conformes à l'Écriture. Car il appartient à la dignité de l'Écriture divine que sous une lettre unique, elle contienne de nombreux sens, de sorte quelle convient ainsi aux différents intellects des hommes, pour que chacun puisse avec admiration trouver en elle la vérité qu'il aura conçue dans son esprit ; et par cela aussi elle est défendue plus facilement contre les infidèles, puisque, si un sens que chacun veut comprendre de l'Écriture aura paru faux, on peut recourir à un autre. C'est pourquoi il n'est pas incroyable que cela ait été transmis de façon divine à Moïse et aux autres auteurs de l'Écriture sainte, pour que les hommes connaissent les diverses vérités quils pourraient comprendre et ce quelles révèlent sous un seul sens littéral, de sorte que nimporte laquelle dentre d'elles soit le sens de l'auteur. C'est pourquoi, si aussi quelques vérités que l'auteur ne comprend pas sont appliquées par les commentateurs de la lettre de l'Écriture sainte, il n'est pas douteux que l'Esprit saint les aura comprises, lui qui en est l'auteur principal. C'est pourquoi toute vérité qui, si on conserve le contexte, peut être conforme à l'Écriture divine, est son sens.
Cela étant supposé, il faut savoir que les divers commentateurs de l'Écriture sainte ont accepté différents sens pour le commencement de la Genèse, dont aucun ne s'oppose à la vérité de la foi. Sur la question présente, ils se sont séparés en deux voies, en admettant de deux manières la mise en forme de la matière, qui est signalée au début de la Genèse, là où il est dit : Mais la terre était vide et déserte.
A) Car certains ont compris qu'une telle absence de forme de la matière était signifiée par ces mots ci-dessus ; selon que la matière est comprise sans aucune forme, en puissance cependant à toutes les formes, mais une telle matière ne peut pas exister dans la nature, sans que qu'elle ne soit mise en forme de quelque manière. Car tout ce qu'on trouve dans la nature, existe en acte, ce que la matière n'a que par la forme, qui est son acte ; c'est pourquoi on n'a pas à la trouver sans forme dans la nature.
Et en plus, comme rien ne peut être contenu dans un genre sans être déterminé par une différence de genre pour lespèce, la matière ne peut être un étant sans être déterminée à un mode particulier d'être ; ce qui ne se fait que par la forme. C'est pourquoi, si on comprend ainsi la matière sans forme, il est impossible qu'elle ait précédé en durée la mise en forme, mais elle l'a précédée seulement dans l'ordre de la nature, selon que, ce de quoi quelque chose est fait est naturellement avant lui, comme la nuit est créée la première. Et telle fut l'opinion d'Augustin.
B) D'autres ont compris l'absence de forme de la matière, non parce qu'elle manque de toute forme ; mais selon qu'on la désigne comme quelque chose sans forme, parce qu'elle n'a pas encore lachèvement ultime de sa nature et sa beauté et, et pour cela on peut penser que l'absence de forme a précédé en durée la mise en forme. Ainsi on pense que cela semble convenir à l'ordre de la sagesse de l'artiste, qui, amenant les choses du néant à l'être, ne les a pas établies aussitôt après le néant, dans la perfection ultime de leur nature ; mais que d'abord il les fit dans un certain être imparfait, et ensuite il les a amenées à la perfection ; pour montrer quainsi leur être procède de Dieu, contre ceux qui pensent que la matière est incréée. Néanmoins il paraîtrait l'auteur même de la perfection des choses contre ceux qui attribuent à un autre la mise en forme des choses inférieures par les causes. Et cest cela que Basile le Grand et Grégoire (de Naziance) et leurs successeurs ont compris. Donc parce qu'aucun des deux n'est en discordance avec la vérité de la foi, et que le contexte supporte l'un et l'autre sens, répondons en soutenant l'un et l'autre, pour ces deux raisons.
Solutions :
1. Augustin parle de la matière sans forme, selon qu'elle est comprise sans forme aucune, et ainsi il est nécessaire de dire que cette absence précède la mise en forme seulement dans l'ordre de la nature. Et on montrera dans l'article suivant quelle opinion avoir sur l'ordre de la mise en forme.
2. A ce sujet quelques-uns ont pensé de multiples façons.
1) Car on dit que Platon, voyant le texte la Genèse, a compris que le nombre des éléments et leur ordre y était signalé de sorte que la terre et leau sont désignées par leurs noms propres. Mais on comprend que l'eau a existé sur la terre du fait qu'il est écrit (Gn. 1, 9) : Que les eaux se rassemblent dans un lieu unique, qu'apparaisse la terre sèche. Au dessus de ces deux éléments, il a compris l'air dans ce qui est dit : Le souffle du Seigneur était porté sur les eaux, comprenant l'air sous le nom de souffle. Et il a compris le feu sous le nom de ciel, qui est au-dessus de tout.
2) Mais parce que, selon les démonstrations d'Aristote (Le ciel, I, com. 18 et 19), il ne peut pas exister un ciel de nature ignée, comme son mouvement circulaire le démontre, Rabbi Moyses suivant l'opinion d'Aristote, d'accord avec Platon sur les trois premiers points, a dit que le feu était signifié par les ténèbres parce que le feu ne brille pas dans sa propre sphère ; er son lieu est révélé dans ce qui est dit : sur la face de l'abîme. Mais il comprend que le nom du ciel signifie la quinte essence.
3) Mais parce que, comme le dit Basile dans l'Hexaemeron (Homélie 2), ce n'est lhabitude de l'Écriture sainte de comprendre l'air comme le souffle du Seigneur, il donna à comprendre les intermédiaires par les corps extrêmes qu'il établit. Et principalement parce qu'il est clair pour les sens, que l'eau et la terre sont des corps, mais que l'air et le feu n'apparaissent pas ainsi aux simples à qui l'Écriture était transmise pour les instruire.
4) Selon Augustin (Les LXV questions, qu. 21) par les noms de terre et d'eau dont il est fait mention avant la formation de la lumière, on ne comprend pas la mise en forme des éléments, mais la matière elle-même, sans forme, sans aucune espèce. Aussi c'est plutôt par ces deux termes, que s'exprime l'absence de forme de la matière, plus que par les autres éléments, parce quils sont plus proches de l'absence de forme comme ayant plus de matière, et moins de forme ; et ils nous sont mieux connus et ils nous montrent plus clairement la matière des autres. C'est pourquoi il n'a pas voulu qu'elle soit signifiée par lun seulement, mais par les deux, pour que si seulement l'autre ne lavait pas pu, on crut vraiment que c'était la matière sans forme.
3. En ce commencement des créatures, par leur absence de forme, selon l'opinion de Basile et des autres saints, il ne faut pas penser que les élément manquaient de leurs qualités naturelles. Mais l'une et l'autre avaient des formes, soit substantielles, soit accidentelles.
4. La situation des éléments peut être considérée d'une double manière :
1) Quant à sa nature propre. et ainsi le feu entoure naturellement l'air, l'air entoure l'eau et l'eau la terre.
2) Quant à la nécessité de la génération, qui est dans un lieu intermédiaire. Ainsi il est nécessaire que la surface de la terre, pour l'une de ses parties ne soit pas découverte par les eaux ; pour quune génération convenable et la conservation des mixtes y soient possibles, et principalement celle des animaux parfaits qui ont besoin d'air pour respirer. Il faut donc dire que cette absence de forme du premier état est atteinte pour la situation, qui est naturelle aux éléments en soi (car tous les éléments ont cette situation), mais pour cette situation qui appartient aux éléments en rapport avec la génération des mixtes. Car cette situation nétait pas encore parfaite, parce que les corps mixtes n'avaient pas encore paru.
5. Au sujet des eaux qui sont au-dessus des cieux, ils ont pensé de diverses manières :
Car certains ont dit que ces eaux étaient des natures spirituelles, ce qui est attribué à Origène. Mais cela ne semble pas pouvoir être pris à la lettre, puisque lespace nappartient pas aux natures spirituelles ; pour partager le firmament entre elles et les eaux corporelles inférieures, comme l'Écriture le rapporte.
C'est pourquoi d'autres disent que, sous le nom de firmament, on comprend l'air qui nous est proche, au-dessus duquel s'élèvent les eaux qui peuvent se sublimer par la montée des vapeurs, qui sont la matière des pluies ; pour qu'ainsi, entre les eaux supérieures qui sont suspendues sous forme de vapeur dans l'intervalle intermédiaire de l'air, et les eaux corporelles que nous voyons se tenir sur la terre, il existe un ciel aérien intermédiaire. Et Rabbi Moyses (Doct. Perplex, part. II, c. 30)est d'accord avec cette exposé. Mais le contexte de la lettre ne semble pas le permettre. Car ensuite il est ajouté, dans la lettre, que Dieu fit deux grands luminaires et les étoiles, et les plaça dans le firmament.
Et c'est pourquoi, d'autres disent que, par le firmament, on comprend le ciel étoilé et que les eaux qui existent au-dessus des cieux sont de la nature des éléments aquatiques et ils y sont placés par la providence divine pour tempérer le pouvoir du feu, dont ils disaient que tout le ciel se compose, comme Basile le rapporte. Et pour létablir, Augustin dit que certains en ont tiré un double argument (La Genèse au sens littéral, II, IV, 8). L'un est que si l'eau, faite par raréfaction peut monter jusqu'à l'intervalle intermédiaire de l'air où sont engendrées les pluies, si, en plus divisée, elle se raréfie (parce quelle est divisible à l'infini comme toute matière continue) elle pourra, par sa légèreté, monter au-dessus du ciel étoilé et y exister de manière convenable. L'autre argument (La Genèse au sens littéral, II, V, 9) est que la planète Saturne qui devrait être très chaude à cause de son mouvement très rapide, dans la mesure où sa circonférence est plus grande, se trouve froide, ce qu'ils disent venir de la proximité de cette eau qui la refroidit.
Mais cette exposition semble avoir un défaut du fait qu'elle affirme qu'on comprend certaines choses par l'Écriture sainte dont le contraire est prouvé par des raisons assez évidentes.
1) Quant à la situation même des corps qui paraît renverser leur situation naturelle. En effet, comme chaque corps doit être d'autant plus haut qu'il est plus forme, il ne semble pas convenir à la nature des éléments, que leau qui, parmi tous les corps, est plus matérielle, exceptée la terre, soit placée au-dessus du ciel étoilé, et à nouveau, que ce qui a une seule nature partage des lieux naturels différents, ce qui arrivera si une partie de l'élément eau est immédiatement sur la terre, l'autre au-dessus du ciel. Et, que la toute puissance de Dieu soutienne ces eaux contre leur nature au-dessous du ciel nest pas une réponse satisfaisante ; parce qu'alors on cherche comment Dieu a institué la nature, sans vouloir opérer pour elles un miracle de sa puissance, comme Augustin le dit dans le même livre.
2) Parce que la raison de la raréfaction ou la division des eaux paraît tout à fait vaine. Car même si les objets mathématiques pouvaient être divisés à l'infini, cependant les corps naturels sont divisés jusqu'à un certain point, puisque la quantité est déterminée pour chacune des formes selon sa nature comme les autres accidents. Cest pourquoi la raréfaction ne peut pas exister à l'infini ; mais (va) jusqu'à un terme déterminé qui est dans la faible densité du feu. Et en plus l'eau pourrait perdre sa densité au point quelle ne serait plus de l'eau, mais de l'air ou du feu, si elle dépassait la faible densité de l'eau. Et elle ne pourrait naturellement dépasser les espaces de l'air et du feu, à moins quayant perdu sa nature, elle dépasse leur faible densité. Et à nouveau il ne serait pas possible que le corps élémentaire, qui est corruptible devienne plus forme que le ciel étoilé, qui est incorruptible et ainsi soit placé naturellement au-dessus de lui.
3) Parce que la seconde raison apparaît comme tout à fait frivole. Car les corps célestes ne sont pas susceptibles d'une imprégnation étrangère, comme le Philosophe le prouve. Il ne serait possible que la planète Saturne soient refroidie par ces eaux, que si toutes les étoiles qui sont dans la huitième sphère étaient refroidies aussi ; cependant on trouve à leurs effets que plusieurs d'entre elles sont chaudes.
Et c'est pourquoi il semble qu'il faille en parler autrement pour que la vérité de l'Écriture soit défendue de toute calomnie, de sorte que nous disons que ces eaux ne sont pas de la nature des eaux élémentaires, mais sont de quinte essence, ayant une commune transparence avec nos eaux, comme le ciel empyrée a une commune brillance avec notre feu. Et ils appellent ces eaux le ciel cristallin, non parce qu'il est fait d'eau congelée à la ressemblance du cristal, parce que, comme le dit Basile (Hex. 3), c'est le propre d'une démence puérile et d'un esprit insensé, d'accepter une telle opinion sur les objets célestes, mais c'est à cause de la consistance de ce ciel, comme des autres cieux, comme le dit Job (37, 18) que les plus consistants ont fondu comme l'air. Et ce ciel aussi est placé par les astrologues dans la neuvième sphère. C'est pourquoi Augustin soutient lun de ces exposés, mais il émet un doute, disant dans le même livre (La Genèse au sens littéral, II, V, 9) : De quelque manière, et quelles que soient ces eaux, ne doutons pas quelles y sont. Car l'autorité de cette Écriture est plus grande que la capacité de tout l'esprit humain.
6. Nous le concédons.
7. Selon l'exposition de Basile (Hexameron, hom. 4) et ses successeurs, si on comprend par le mot terre, l'élément terre, on peut la considérer ainsi dans la mesure où elle est le principe de certaines choses, à savoir des plantes dont elle est même la mère, comme on le dit au livre de la Végétation et ainsi par rapport à cela, elle était vide avant de les produire ; car nous disons qu'est vide ou désert ce qui ne parvient pas à son effet ou à sa fin propres. Et elle peut être considérée dans la mesure où elle est un habitacle et un lieu pour les animaux par rapport à ce qu'on a appelé désert.
Ou selon la lettre de la Septante, qui a invisible et non composée, il y eut une terre invisible, dans la mesure où elle était couverte d'eau, même dans la mesure où la lumière par laquelle elle pouvait être vue n'était pas créée ; non composée, dans la mesure où elle manquait de l'ornement des plantes et des animaux, et d'un espace convenable pour leur génération et leur conservation. Mais si on comprend par terre la matière, selon lopinion dAugustin (Dial. 65, qu. 21), on lappelle vide par comparaison au composé en lequel elle subsiste ; car la vacuité est opposée à la fermeté et à la solidité ; mais déserte par comparaison aux formes qui ne comblaient pas sa puissance. C'est pour cela que Platon (Timée), compara la réception de la matière à un lieu, selon lequel elle est reçue et placée en lui. Mais désert ou plein se dit proprement du lieu. Car on dit que la matière dans son manque de forme est considérée comme invisible, selon qu'elle manque de forme, qui est le principe de sa connaissance, non composée dans la mesure où elle ne subsiste pas sans composé.
8. Il convient à la libéralité du donateur de donner promptement, mais aussi de donner chaque chose avec ordre et au temps convenable. Cest pourquoi quand il est dit : Aussitôt que tu pourrais donner, non seulement il faut considérer la puissance par laquelle on peut donner quelque chose absolument, mais encore par laquelle nous pouvons donner plus convenablement. Cest pourquoi, pour garder la convenance de lordre, Dieu a institué d'abord des créatures dans une certaine imperfection, pour qu'elles parviennent graduellement du néant à la perfection.
9. La situation qui convient à la nature des éléments, était en eux, comme on la dit ; cest pourquoi lobjection ne vaut pas contre cette opinion .
10. 11. Il faut dire de même pour la dixième et onzième objection.
12. Il convient à lagent parfait de produire un effet parfait. Il ne faut pas que cet effet soit dès le commencement absolument parfait selon le mode de sa nature, mais il suffit quil le soit dans ce temps ; de cette manière, on peut dire que lenfant sitôt né est parfait.
13. On ne dit pas que la matière a été sans forme, selon la proposition que nous soutenons à présent, parce qu'elle manquerait de toute forme ; ou bien parce qu'elle n'aurait qu'une seule forme, qui serait en puissance à toutes les formes, comme lont pensé les anciens Naturalistes, qui nadmettaient qu'un seul principe ; ou bien sous le pouvoir duquel seraient contenues plusieurs formes, comme cela arrive dans les mixtes, mais elle avait en différentes parties différentes formes élémentaires. Cependant on l'appelait matière sans forme, parce que nétaient pas encore parvenues à la matière les formes des corps mixtes, pour lesquelles les formes élémentaires sont en puissance, et la position des éléments nétait pas encore apte à leur génération, comme on la dit dabord.
14. Rien, ni lautorité de lÉcriture dans la Genèse, ni la raison ne nous forcent à dire, qu'en ce commencement des choses, la matière était soumise à des formes élémentaires d'une autre manière que maintenant, même sil aura été possible que des eaux sélèvent sous forme de vapeur dans le territoire de lair, comme cela arrive aussi maintenant, et peut-être alors encore plus, puisque la terre était entièrement couverte par les eaux.
15. Au sujet du firmament qui est formé le second jour, on trouve de nombreuses opinions.
Car certains disent quil nest pas autre que le ciel, quon lit avoir été créé le premier jour, mais ils disent que lÉcriture au commencement a rappelé sommairement ce qui a été fait, dont elle a expliqué comment comment cela a été faits en six jours. Et cette opinion vient de Basile dans l'Hexaemeron.
Mais d'autres disent que cest un autre firmament qui a été créé le second jour, et un autre ciel qu'on dit avoir été créé d'abord, et cela de trois manières.
1) Car certains ont dit que par le ciel, qui, lit-on, a été créé le premier jour, on comprend la créature spirituelle, en forme, ou encore sans forme ; par le firmament qui, a été créé le second jour, on comprend le ciel corporel que nous voyons. Et cest lopinion dAugustin, comme cela apparaît dans le La Genèse au sens littéral et au livre 12 des Confessions.
2) Dautres disent que par le ciel créé le premier jour, on comprend le ciel empyrée, par le firmament qui a été fait le second jour, on comprend le ciel étoilé que nous voyons. Et cette opinion est celle de Strabon, comme on le voit dans la glose de Genèse 1.
3) Dautres disent que, par le ciel créé le premier jour, on comprend le ciel étoilé, et par le firmament qui a été fait le second jour, lespace de cet air voisin de la terre, qui divise les eaux entre elles, comme on la dit plus haut. Et Augustin parle de cette exposition dans La Genèse au sens littéral et Rabbi Moïses la soutient.
Selon cette dernière exposition, il est facile de résoudre le problème ; parce que le firmament, qui a été créé le second jour, n'était pas de quinte essence ; cest pourquoi, rien nempêche, quant à lui qu'il soit passé de l'absence de forme à la mise en forme ; ou bien quant à la raréfaction, car les vapeurs sélevaient des eaux, amoindries par leur rassemblement en un seul lieu, ou bien quant à sa situation pendant que lair arriva dans le lieu d'où leau se retirait.
Mais selon ces trois premières opinions, qui comprennent par le firmament le ciel étoilé, il ne faut pas dire quil y eut passage dans le ciel, de l'absence de forme à la mise en forme, comme sil acquerrait une nouvelle forme, parce que, dans les éléments inférieurs, lÉcriture ne force pas à létablir, mais comme nous comprenons qu'un pouvoir a été placé dans le firmament pour la génération des éléments mixtes, on peut y comprendre aussi sa mise en forme, comme on comprend celle des éléments inférieurs, comme on la dit (solution des arguments 13 et 4), pour la génération des mixtes. Car, de même que les éléments inférieurs sont la matière des mixtes, le firmament est leur cause active.
Cest pourquoi la séparation des eaux inférieures des eaux supérieures peut être comprise au moyen dun intermédiaire situé aux confins des deux extrêmes qui les distingue lune de lautre. Car les eaux inférieures sont sujettes à variation, dans la mesure où elles deviennent la matière du mixte par le mouvement du firmament, mais pas les eaux supérieures. Cependant selon lexpression dAugustin (La Genèse au sens littéral, II, XI, 24), si on pense que la matière informe a existé avant dans le temps, il nen ressort rien de grave, parce quil faut dune certaine manière que la matière soit établie dans le corps céleste, dans lequel on trouve aussi le mouvement. C'est pourquoi, rien n'empêche qu'on la comprenne dans l'ordre de la nature avant la forme, bien que rien de la formation ne serait arrivé à partir du temps. Et nous ne sommes pas forcés, pour cela, de dire quil y a une seule nature commune au corps céleste et aux éléments inférieurs, même si on désigne par un seul nom les terres ou les eaux, selon l'expression d'Augustin ; parce que cette unité n'est pas comprise de la substance, mais de la proportion dans la mesure où on considère n'importe quelle matière comme en puissance pour la forme.
16. La solution est éclairée par ce qui vient dêtre dit. Car on ne comprend pas labsence de forme de la matière, comme celle de toute forme, comme on la dit.
17. Selon l'expression dAugustin (Dialogue, LV, quest. 21) qui pense que par la terre et leau dont on fait mention avant, comme n'étant pas des éléments, on a désigné la matière première, il nen découle aucune inconvenance pour le rassemblement des eaux. Car, comme il le dit lui-même, (La Genèse au sens littéral, II, ch. 7 et 8), de même qu'il a été dit : Que soit fait le firmament, au second jour, cela signifie la formation des corps inférieurs, de même quand il est dit : que les eaux se rassemblent, au troisième jour cela signifie que leau a reçu sa forme ; par cette parole : que la terre sèche apparaisse, cela signifie la même chose pour la terre. Cest pourquoi, il s'est servi de ces mots, pour la formation de ces éléments, et non du mot de faire, comme pour le ciel pour dire : que l'eau et la terre soient faites, comme il avait dit : Que le firmament soit fait., pour signifier l'imperfection de ces formes et leur proximité de la matière informe. Il s'est servi du mot de rassemblement, pour l'eau, pour signifier sa mobilité, et du mot apparence, dans la terre pour signifier sa stabilité. Aussi il dit lui-même : Cest pourquoi on a dit de leau quelle se rassemble, de la terre quelle apparaisse, parce que leau s'est écoulée doucement et la terre a été fixée fermement.
Mais si, selon lopinion de Basile et des autres saints, on disait quon signifie ici et là la même terre, et de la même manière, la même eau, mais disposées dune autre manière avant et après, on trouve de nombreuses réponses : Car certains ont dit quune partie de la terre était celle qui navait pas été recouverte par les eaux, dans laquelle leau qui occupait la terre habitable, avec laide de Dieu, a été rassemblée. Mais Augustin le réprouve à cause de la lettre même du texte, (La Genèse au sens littéral, I, 12, 26), en disant : S'il y avait quelque lieu où la terre était nue, quand les eaux se seraient rassemblées, cest que déjà avant émergeait la terre sèche, ce qui est contre le contexte. Cest pourquoi dautres disent que leau était plus rare, comme les nuées, et ensuite étant devenue plus dense, elle a été placée dans un lieu plus petit. Mais cela même ne diminue pas la difficulté ; d'une part, parce que ce n'était pas vraiment de leau, si elle avait pris la forme de la vapeur, d'autre part, même parce qu'elle aurait occupé la place de lair. et il resterait une difficulté semblable pour l'air. Et cest pourquoi dautres disent que la terre a reçu des cavités, dans lesquelles elle a pu recevoir un grande quantité des eaux par l'opération de Dieu. Mais cela semble être contraire, parce que c'est par accident qu'une partie de la terre est plus loin du centre que l'autre. Mais en cette formation des choses, la nature a reçu son mode, comme Augustin le dit dans le même livre. (La Genèse au sens littéral, VI, 6).
Et cest pourquoi il semble quil vaut mieux dire, comme Basile, que les eaux sétaient dispersées en de nombreuses parties, et ensuite ont été rassemblées en un tout, ce que le texte même usant du mot de rassemblement semble signifier. Car même si leau couvrait toute la terre, il ne faut pas qu'avant elle soit recouverte partout dune profondeur telle quon la trouve maintenant dans certains lieux.
18. Parce que les minéraux ne dépassent pas de façon évidente les éléments en perfection, comme les êtres vivants, ils ne sont pas décrits comme formés à part des éléments ; mais on peut comprendre qu'ils sont produits à la constitution même des éléments. Cest pourquoi rien nempêche quil y eut des cavités avant le rassemblement des eaux, pour que après, la terre comprimée en sa surface offre une place à leau rassemblée. Cependant les paroles dAugustin à propos de cette opinion (La Genèse au sens littéral, I, 12) paraissent mieux convenir, parce que les cavités de ce genre, nauraient pas préexisté sous la terre, mais elles auraient été faites plus à sa surface, quand les eaux ont été rassemblées. Car il parle ainsi : La terre qui sétend au loin, et largement a pu fournir d'autres dépressions dans lesquelles les confluents et les eaux courantes seraient reçues, et la terre sèche apparaîtrait de ces parties doù le liquide serait parti. Les paroles de Basile sont en accord (Hexaemeron, homélie 4). Il dit : Quand lordre a été donné que les eaux se rassemblent en une seule masse, alors la cause de leur réception a précédé et ainsi par lordre de Dieu, un réceptacle suffisant a été préparé où les grandes quantités d'eaux se rassembleraient. Cette capacité peut être comprise par l'enfoncement de certaines partie de la terre, quand nous voyons même dans certaines une plus grande élévation accidentelle, comme cela se voit dans les collines et les montagnes.
19. Si les cavités ne préexistaient pas dans la terre, selon ce qui a été dit en dernier, la présente objection ne vaut pas. Mais si elles préexistaient, alors il faut dire que, bien que ce soit contre la nature de lair ou de leau de se mettre sous les terres qui leur sont laissées, cependant pas si la terre était en quelque manière empêchée par son mouvement. Car ainsi nous voyons dans les cavernes qui se font sous terre, que la terre suspendue par certains supports laisse entrer l'air, parce que la nature ne supporte pas le vide. Cependant, si on dit que les eaux qui étaient d'une moins grande profondeur, dispersées sur toute la surface de la terre , ont été par la suite rassemblées sur une partie de la terre avec une plus grande profondeur, comme on la dit ci-dessus, les objections précédentes disparaîtront.
20. Si on considère la situation naturelle des éléments, qui appartient à leur nature de façon absolue, il est naturel pour l'eau dentourer partout toute la terre, comme l'air entoure l'eau. Mais si on considère les éléments dans leur rapport à la génération des mixtes, que les corps célestes mettent en action, alors une telle situation convient telle quelle a été mise en place après. Cest pourquoi aussitôt que la terre sèche est apparue dans l'une de ses parties, elle est assujettie à la production des plantes. Mais, ce qui dans les éléments vient de laction des corps célestes narrive pas contre la nature, comme le dit le Commentateur (Le ciel et le monde , 3, com. 20), comme cela paraît dans le flux et le reflux de la mer, qui, bien que ce ne soit pas un mouvement naturel de leau, dans la mesure où elle est dense, parce quelle nest pas pour lintermédiaire, cependant cest son mouvement naturel dans la mesure où elle est mue par le corps céleste, comme son instrument. Mais il convient beaucoup plus de le dire de ce qui se fait dans les éléments par la mise en ordre de Dieu, par laquelle toute la nature des éléments subsiste. Dans le présent, lun et lautre semblent concourir au rassemblement des eaux, le pouvoir divin principalement, le pouvoir céleste en second. C'est pourquoi aussitôt après la constitution du firmament, on ajoute le rassemblement des eaux. Cette aptitude vient de la nature de leau. Car, comme le contenant dans les éléments est plus formel que le contenu, comme cest exposé chez le philosophe (Physique VIII), dans la mesure où leau sécarte du voisinage parfait de la terre, elle nest pas parfaitement en forme comme le feu et lair, en parvenant plus à la densité terrestre quà la légèreté du feu.
21. La confusion, qui, a, dit-on, a précédé, dans le monde en son commencement nest pas atteinte par le mélange des éléments, mais par l'opposition à cette distinction qui existe maintenant dans les parties du monde, en accord avec la génération des vivants et leur conservation.
22. 23. Par là apparaît le réponse à la vingt-deuxième et vingt-troisième objection.
Réponse aux arguments de sens contraire :
Selon lopinion dAugustin, il faut aussi répondre.
1. Grégoire parle selon lopinion que nous avons d'abord soutenue. Cependant il ne faut pas comprendre quil dit, que, dans la première création, la matière de toutes choses a été faite sans aucune espèce de forme, mais sans certaines formes, à savoir celle des créatures vivantes, et de leur rapport à leur génération, comme on la exposé ci-dessus (solution aux arguments 4 et 13).
2. L'appétit de la forme n'est pas une action de la matière, mais une relation de la matière à la forme, selon qu'elle est en puissance pour elle, comme le Commentateur l'expose au 1er livre de la Physique (ch. 81).
3. Si Dieu créait un étant (ens) en puissance seulement, il ferait moins que la nature, qui le produit en acte. Car la perfection de l'action est mieux atteinte, selon le but, que selon l'origine et cependant cela même qui est dit implique contradiction, pour que quelque chose soit fait, qui est en puissance seulement ; parce quil faudrait que ce qui est fait soit, puisqu'il est, comme on le prouve en Physique (VI). Mais ce qui est seulement en puissance n'existe absolument pas.
4. Ce que l'Écriture dit : La terre était vide et déserte, si on le conçoit de la matière tout à fait informe, selon Augustin, n'est pas à comprendre qu'elle était ainsi quelquefois en acte, mais parce que sa nature était telle si on la considère sans formes inhérentes.
5. La formation de la créature spirituelle peut être comprise de deux manières : l'une par l'infusion de la grâce et l'autre par l'achèvement de la gloire. La première formation, selon l'opinion d'Augustin, arrive aussitôt à la créature spirituelle, au commencement de sa création et alors par les ténèbres, desquelles la lumière est distinguée, on ne comprend pas le péché des mauvais anges, mais le manque de forme de la nature, qui n'était pas encore mise enforme, mais devait lêtre par les uvre suivantes, comme il est dit (la Genèse au sens littéral, I), ou bien, comme il est dit au quatrième livre, la connaissance de Dieu est signifiée par le jour, la connaissance de la créature, par la nuit, qui est ténèbres par rapport à la connaissance divine, (comme on le dit au même livre). Ou si par les ténèbres nous comprenons les anges pécheurs, cette division ne se réfère pas au péché présent, mais au péché futur, qui était dans la prescience de Dieu : c'est pourquoi il dit dans le livre A Orose, (Dialogue 65, qu. 24) : Parce quil savait à l'avance, par l'ordre immuable de sa prescience, que certains anges succomberaient par orgueil il sépara les bons des méchants, appelant les méchants ténèbres, et les bons lumière.. La seconde formation n'appartient pas au commencement de l'institution des choses, mais plutôt à leur achèvement, où elles sont gouvernées par la providence divine. Car cest la vérité ultime, selon Augustin, pour tout ce en quoi l'opération de la nature est requise, qu'il est nécessaire qu'elle parvienne à cette formation, parce que par le mouvement du libre arbitre, certains se sont tournés pour demeurer, certains détournés pour tomber.
6. On dit que le monde a été fait de la matière invisible, non parce que la matière sans forme a précédé dans le temps, mais dans l'ordre de la nature. Et semblablement la privation n'a pas existé un temps dans la matière avant toute forme, mais parce que la matière comprise sans forme est comprise aussi avec la privation.
7. Cela vient de l'imperfection de la nature, qui opère par mouvement de procéder de l'imparfait au parfait ; car le mouvement est d'un acte imparfait. Mais Dieu, à cause de la perfection de son pouvoir, a pu aussitôt produire les choses parfaites dans l'être, et c'est pourquoi ce n'est pas pareil.
8. Les paroles d'Augustin ne sont pas à comprendre de sorte que la matière a été un temps en puissance pour les formes élémentaires, sans en avoir une ; mais parce que, celle-ci considérée en son essence, quand elle existe en puissance pour toutes les formes, n'inclut aucune forme en acte.