Question 5 : La conservation à l'être des créatures par Dieu.
1. Les créatures sont-elles conservées à lêtre par Dieu, ou même si on écarte toute action de sa part, demeurent-elles en lêtre par elles-mêmes ?
2. Dieu peut-il communiquer à une créature le pouvoir de se conserver dans lêtre par soi sans lui ?
3. Dieu peut-il ramener les créatures au néant ?
4. Une créature doit-elle retourner au néant, ou même y retourne-t-elle ?
5. Le mouvement du ciel cessera-t-il un jour ?
6. L'homme peut-il savoir quand le mouvement du ciel s'achèvera ?
7. Quand cessera le mouvement du ciel, les éléments demeureront-ils ?
8. Quand cessera le mouvement du ciel, l'action et la passion demeureront-elles dans les éléments ?
9. Les plantes, les animaux et les minéraux demeureront-ils après la fin du monde ?
10. Les corps humains demeureront-ils quand cessera le mouvement du ciel ?
Article 1 : Les créatures sont-elles conservées à lêtre par Dieu ou même si on écarte toute action de sa part, demeurent-elles en lêtre par elles-mêmes ?
Il semble que oui.
Objections :
1. Car il est dit en Dt. 32,4: Les uvres de Dieu sont parfaites. On argumente ainsi : Est parfait ce à quoi rien ne manque, selon le Philosophe (Physique, III, 6, 207 a 10). Il manque quelque chose à lêtre qui ne peut pas exister sans un agent extérieur. Donc il nest pas parfait; et de telles uvres ne viennent pas de Dieu.
2. Mais on pourrait dire : que les uvres de Dieu ne sont pas parfaites dans l'absolu, mais dans leur nature.
En sens contraire est parfait en sa nature ce qui a ce dont elle est capable. Mais tout ce qui a tout ce dont sa nature est capable peut demeurer dans lêtre, si toute conservation extérieure de Dieu cesse. Donc si des créatures sont parfaites en leur nature, elles peuvent demeurer dans lêtre, sans que Dieu les y conserve. Preuve de largument intermédiaire : Dieu agit en conservant; cest pour cela quil est dit en Jn 5 ,17 : Mon Père opère jusquà maintenant et moi aussi jopère, comme le dit Augustin (La Genèse au sens littéral, V, XII, 22). Si lagent fait quelque chose, leffet le reçoit. Donc tant que Dieu les conserve, ces êtres conservés reçoivent toujours quelque chose de Dieu : donc tant que l'être a besoin dêtre conservé, il na pas encore tout ce dont il est capable.
3. Tout être nest parfait que sil accomplit ce pour quoi il existe. Mais il y a les principes pour conserver la créature dans lêtre. Donc si les principes créés ne peuvent la conserver, il sensuit quils sont imparfaits et qu'ils ne sont pas les uvres de Dieu, ce qui est absurde.
4. Dieu est, pour ainsi dire, la cause efficiente des créatures. Mais si laction de la cause efficiente cesse, leffet demeure. Ainsi quand cesse laction du bâtisseur, la maison demeure et quand cesse laction du feu qui engendre, reste le feu qui en est engendré. Donc quand toute action de Dieu cesse, les créatures peuvent encore exister.
5. Mais on pourrait dire que les agents inférieurs sont causes du devenir et non de lêtre; cest pourquoi lexistence des effets demeure, une fois retirée laction des causes du devenir. Mais Dieu est la cause non seulement de leur devenir mais de leur être. Cest pourquoi leur être ne peut demeurer, si laction divine cesse. En sens contraire : tout ce qui est engendré possède lêtre par sa forme. Si donc les causes inférieures qui engendrent ne sont pas causes de lêtre, elles ne seront pas causes des formes, et ainsi les formes qui sont dans la matière ne viennent pas des formes qui sont en elles, comme laffirme le Philosophe, (Métaphysique, VII, 8, 1034 a 5), qui dit que la forme qui est dans ces chairs et ces os vient de celle qui est dans ces chairs et ces os. Mais il sensuit que les formes dans la matière viennent des formes sans matière, selon lopinion de Platon - ou du pourvoyeur de formes - selon lopinion dAvicenne (Métaphysique, IX, ch. 4 et 5)
6. Ceux dont lêtre est en devenir ne peuvent demeurer, quand cesse laction de lagent, comme cela est évident pour le mouvement et la lutte, etc.. Mais ce dont lêtre est achevé peut demeurer même une fois les agents écartés. Cest pourquoi Augustin (La Genèse au sens littéral, VIII, XII, 26) dit : Quand la lumière est présente, lair qui nétait pas lumineux, le devient; parce que, sil avait été lumineux, il ne le deviendrait pas; et si la lumière cessait, il demeurerait lumineux. Mais il y a beaucoup de créatures dont lêtre nest pas en devenir, mais déjà produit; comme cest évident pour les anges et même pour tous les corps. Donc, si l'action de Dieu agent cesse, les créatures peuvent demeurer dans lêtre.
7. Les causes inférieures qui engendrent sont causes dêtre pour ce qui est engendré, comme on la prouvé plus haut ; non cependant comme causes principales et premières, mais comme causes secondes. Mais la cause première de lêtre, qui est Dieu, ne donne le principe dêtre aux choses engendrées que par lintermédiaire des causes secondes, dont on a parlé. Donc il ne donne pas non plus la subsistance dans lêtre, parce quune même chose a lêtre et est conservé dans lêtre par la même cause. Mais lêtre de ce qui est engendré est conservé par les principes essentiels de ceux qui les engendrent, si cessent les causes secondes qui agissent. Donc aussi quand cesse la cause première efficiente, qui est Dieu.
8. Si quelque chose cesse dêtre, cest à cause de la matière ou parce quelle vient du néant. Mais la matière nest cause de corruption que selon quelle est soumise à la contrariété. Ce nest pas dans toutes les créatures que la matière y est soumise. Donc celles qui ny sont pas soumises, comme les corps célestes et les anges, ne peuvent cesser en raison de la matière ni non plus en raison de ce quils viennent du néant, parce que de rien, rien ne vient et rien ne fait rien et ainsi (le néant) ne corrompt pas. Donc, quand cesse toute action divine, de telles choses n'abandonnent pas lêtre.
9. La forme commence dêtre dans la matière à linstant ultime de sa production, où la chose nest pas en devenir mais est déjà produite. Mais selon l'opinion d'Avicenne (Métaphysique, IX, 4 et 5) les formes de ce qui est engendré sont introduites dans la matière par une intelligence agent qui est pourvoyeuse de formes. Donc cette intelligence est cause dêtre et non seulement du devenir, et ainsi par son action, les choses peuvent être conservées dans lêtre , même si on écarte la conservation par Dieu.
10. La forme substantielle aussi est cause dêtre. Si donc les causes d'être sont celles qui conservent dans lêtre, la forme suffit pour que la chose y soit conservée.
11. Les choses sont conservées dans lêtre par la matière, dans la mesure où elle soutient la forme, mais la matière, selon le Philosophe, nest ni engendrée, ni corruptible, et ainsi elle na pas de cause, et elle demeure quand toute action de la cause efficiente est écartée. Donc les choses peuvent encore être conservées dans lêtre, si cesse laction de la première cause efficiente, à savoir de Dieu.
12. Il est dit dans lEcclésiaste (33, 15) : Regarde dans toutes les uvres du Très Haut; deux contre deux, une contre une. Mais, parmi ses uvres, on trouve quelque chose qui a besoin dêtre conservé par Dieu. Donc on trouve aussi parmi ses uvres leur opposé, à savoir ce qui nen a pas besoin.
13. Lappétit naturel ne peut pas être vain et sans objet. Mais tout désire par nature la conservation de son être. Donc, une chose peut se conserver à lêtre par soi, autrement lappétit naturel serait vain.
14. Augustin dit (Enchiridion, III, 10) que Dieu fit chaque chose particulière bonne, et, en même temps, lensemble très bon; cest pour cela quil est dit (Gn. 1, 31) : Dieu vit tout ce quil avait fait et cétait très bon. Donc luniversalité des créatures est très bonne et la meilleure. Car il appartient au meilleur de causer le meilleur, selon Platon dans le Timée. Mais ce qui na pas besoin de quelque chose dextérieur pour sa conservation est meilleur que ce qui en a besoin. Donc luniversalité des créatures na besoin de rien dextérieur pour sa conservation.
15. Le bonheur est quelque chose de créé dans la nature des bienheureux. Mais le bonheur est un état parfait par la réunion de tous les biens, comme le dit Boèce (Consol. III, prose 2), ce qui ne serait pas, sil nincluait pas en lui sa conservation qui est lun des biens suprêmes. Donc il y a quelque chose de créé qui peut se conserver à lêtre par soi.
16. Augustin dit (La cité de Dieu, VII, 30) que Dieu administre ses uvres par sa Providence ; il leur permet cependant daccomplir leurs propres mouvements. Mais le mouvement le plus propre de la nature qui vient du néant est dy tendre. Donc Dieu permet à la nature qui vient du néant de tendre au néant. Donc il ne conserve pas ses créatures dans lêtre.
17. Celui qui reçoit ce qui est contraire à ce quil a reçu, ne le conserve pas, mais plutôt le détruit. Car nous voyons ce que les agents naturels reçoivent par violence dans leurs contraires demeure un instant, quand cesse laction des agents naturels ; ainsi la chaleur demeure dans leau chauffée quand cesse un instant laction du feu. Les effets de Dieu ne sont pas reçus dans quelque chose de contraire mais en rien, parce quil est lauteur de toute la substance. Donc les effets divins demeureront beaucoup plus, même un instant, si cesse laction de Dieu.
18. La forme est le principe pour connaître, opérer et être. Mais la forme sans appui extérieur peut être principe dopération et de connaissance. Donc dêtre aussi et ainsi quand laction de Dieu cesse, la chose peut être conservée à lêtre par la forme.
En sens contraire :
1. Il y a ce qui est dit en Hébr. 1, 3 : Soutenant tout par la puissance de sa parole. où la glose dit : De même que cest créé par lui, cest conservé immuable par lui.
2. Augustin dit (La Genèse au sens littéral, IV, XII, 22) : La puissance du créateur et le pouvoir du Tout Puissant sont la cause de la subsistance pour toute créature. Si ce pouvoir cessait de sexercer un instant, sur les créatures, en même temps leur forme cesserait et tout leur nature seffondrerait. Et plus bas : Le monde ne pourrait pas demeurer le temps dun clin dil si Dieu lui retirait son gouvernement.
3. Grégoire le Grand dit (Les Morales, VI, ch. 18) que Tout retournerait au néant, si la main du Tout Puissant ne le contenait.
4. Dans Le livre des Causes, (prop. 9), il est dit que Toute stabilité de lintelligence cest-à-dire la permanence et lessence vient du Bien qui est la cause première. Donc beaucoup plus les autres créatures qui ne sont modelées dans lêtre que par Dieu.
Réponse :
Cest sans doute aucun quil faut concéder que les créatures sont conservées dans l'être par Dieu, et qu'en un instant elles retourneraient au néant, si elles étaient abandonnées par lui. On peut en trouver la raison ainsi : l'effet doit dépendre de sa cause, car c'est la nature de l'effet et de la cause, ce qui apparaît manifestement dans les causes formelles et matérielles. Car si on écarte tout principe matériel ou formel, la chose cesse aussitôt d'exister, puisque de tels principes en pénètrent l'essence.
Il faut porter un jugement semblable pour les causes efficientes que pour les causes formelles ou matérielles. Car la cause efficiente est cause selon qu'elle induit une forme, ou dispose la matière. C'est pourquoi, il y a la même dépendance de la chose à la cause efficiente, qu'à la matière et à la forme, puisque par l'une d'elle, elle dépend de l'autre. Mais pour les causes finales, il faut que le jugement soit le même que pour la cause efficiente. Car la fin n'est une cause que selon qu'elle pousse l'efficience à agir; car elle n'est pas d'abord dans l'être mais dans l'intention seulement. C'est pourquoi là où il n'y a pas d'action, il n'y a pas de cause finale, comme cela se voit en Métaphysique (III, 2, 996 a 26).
Ainsi donc, l'être de ce qui est produit dépend de la cause efficiente, selon qu'il dépend de sa forme même. Mais il y a une efficience dont la forme du produit ne dépend pas, par soi, et selon sa nature, mais seulement par accident; ainsi la forme du feu qui est engendré ne dépend pas de celui qui l'engendre par soi et selon la nature de l'espèce, puisque, dans l'ordre des choses elle occupe le même degré, et dans ce qui est engendré elle n'est pas différente que dans celui qui l'engendre; mais elle en est distinguée seulement par la division matérielle, à savoir selon qu'elle vient dune autre matière. C'est pourquoi, comme la forme pour le feu engendré vient d'une cause, il faut quelle dépende d'un principe plus élevé, qui en serait la cause, par soi et selon la nature propre de l'espèce.
Mais comme l'être de la forme dans la matière, à proprement parler n'implique nul mouvement ni changement, sinon par hasard, par accident; tout corps n'agit que mu, comme le Philosophe le prouve (Cf. Physique, VIII, 259 b 32 260 a 19), il est nécessaire que le principe d'où dépend la forme par soi, soit un principe incorporel, car, par l'action d'un principe, l'effet dépend de la cause efficiente. Et si un principe corporel est en quelque manière cause de la forme, cela ne se peut que dans la mesure où il agit par le pouvoir d'un principe incorporel, comme son instrument; ce qui est nécessaire pour que la forme commence à exister, dans la mesure où elle ne commence à exister que dans la matière; car la matière de quelque manière qu'elle se comporte ne peut pas être soumise à la forme, parce que l'acte propre doit être dans la matière propre.
Donc, quand la matière est dans une disposition qui ne convient pas à la forme, elle ne peut pas, en venant d'un principe incorporel, dont la forme dépend par soi, l'acquérir immédiatement; il faut donc quil y ait quelque chose qui transforme la matière; et c'est un agent corporel dont le propre est dagir en mettant en mouvement. Et il agit dans le pouvoir du principe incorporel, et son action est déterminée à telle forme qui est en lui, en acte (comme dans les agents univoques) ou en puissance (comme dans les agents équivoques).
Ainsi donc de tels agents corporels inférieurs ne sont pas les principes des formes dans ce qui est produit, sinon dans la mesure où la causalité du changement peut s'étendre, puisqu'ils n'agissent qu'en changeant, comme on l'a dit (q. 3, a. 7 et 8). Mais cest dans la mesure où ils disposent la matière et sortent la forme de la puissance de la matière. Donc dans cette mesure, les formes de ce qui est engendré dépendent naturellement de ce qui les engendre, parce qu'elles sortent de la puissance de la matière, mais non quant à l'être absolu.
C'est pourquoi, quand l'action de celui qui engendre est écartée, cesse le passage de la puissance à l'acte qui est le devenir de ce qui est engendré; mais les formes elles-mêmes, par lesquelles ce qui est engendré a l'être ne cessent pas. Et de là vient que l'être de ce qui est engendré demeure, mais non le devenir si cesse l'action de celui qui engendre. Si ces formes ne sont pas dans la matière, comme les substances intellectuelles, ou bien si elles sont dans une matière en aucune manière préparée pour la forme, comme dans les corps célestes, dans lesquels il n'y a pas de dispositions contraires, leur principe d'être ne peut être qu'un agent incorporel qui n'agit pas par mouvement; et elles ne dépendent pas pour leur devenir de ce dont elles ne dépendent pas pour leur être.
Donc, quand cesse l'action de la cause efficiente, qui agit par mouvement dans l'instant même, le devenir de ce qui est engendré cesse, de même quand l'action de l'agent incorporel cesse, l'être même des choses créées par lui cesse aussi. Mais cet agent incorporel, par qui tout est créé, les êtres corporels et incorporels, est Dieu, comme on l'a montré dans une autre question (qu. 3, a. 5, 6, et 8), de qui viennent non seulement les formes des êtres mais aussi la matière. Et l'une et l'autre à ce propos ne diffèrent pas immédiatement par un ordre, comme certains philosophes l'ont pensé. C'est pourquoi, il en découle que si l'opération divine cessait, tout, dans un même moment, retomberait dans le néant, comme on l'a prouvé pour les autorités dans les arguments en sens contraire.
Solutions :
1. Les créatures de Dieu sont parfaites dans leur nature et leur ordre, mais parmi ce qui est requis pour leur perfection, il y a ce fait aussi qu'elles sont maintenues dans l'être par Dieu.
2. Ce n'est pas par une autre opération que Dieu produit les créatures dans l'être et les y conserve. Car l'être même de ce qui demeure n'est divisible que par accident, dans la mesure où il est soumis à un mouvement, mais en soi il est dans l'instant. C'est pourquoi l'opération de Dieu qui est cause par soi de l'être, n'est pas autre selon qu'il produit le principe d'être et sa continuité.
3. Les choses sont conservées dans l'être, aussi longtemps que leurs principes essentiels existent, mais les principes même cesseraient si l'action divine cessait.
4. Les agents inférieurs de ce genre sont la cause du devenir des choses, et non de leur être, à proprement parler. Mais Dieu est cause d'être par soi, et ainsi ce n'est pas pareil. C'est pourquoi Augustin dit (La Genèse au sens littéral, IV, 12) : Car ce n'est pas comme quelqu'un qui s'en va quand il a construit un bâtiment : même s'il cesse et s'en va, son uvre demeure, au contraire le monde ne pourrait demeurer l'instant d'un clin d'il, si Dieu lui retirait son concours.
5. Comme les agents corporels n'agissent qu'en opérant des changements rien n'est changé qu'en raison de la matière la causalité des agents corporels ne peut s'étendre qu'à ce qui est de quelque manière dans la matière. Et parce que les Platoniciens et Avicenne ne pensaient pas que les formes étaient éduites de la puissance de la matière, ils étaient forcés de dire que les agents naturels disposaient seulement la matière; et l'induction de la forme dépendait d'un principe séparé. Mais si nous pensons que les formes substantielles sont éduites de la puissance de la matière, selon l'opinion d'Aristote, les agents naturels, non seulement sont causes des dispositions de la matière, mais encore des formes substantielles; pour seulement ce qui est amené de la puissance à l'acte, comme on l'a dit (qu. 3, art. 9 et 11) et par conséquent, ils sont les principes de lêtre, quant à son commencement mais absolument pas quant à lêtre même.
6. Parmi les formes qui commencent à exister en acte dans la matière par l'action de l'agent corporel, certaines sont produites selon la nature parfaite de l'espèce et selon l'être parfait, dans la matière, comme la forme de celui qui engendre parce que les principes contraires ne demeurent pas dans la matière, et les formes de ce genre demeurent après l'action de celui qui engendre, jusqu'au temps de la corruption. Mais certaines formes sont produites selon la nature parfaite de l'espèce, et non selon l'être parfait dans la matière, comme la chaleur qui est dans l'eau chaude a une espèce parfaite de chaleur, non cependant un être parfait qui vient de l'application de la forme à la matière, parce que la forme contraire à une telle qualité demeure dans la matière. Et de telles formes peuvent demeurer un peu après l'action de l'agent, mais elles sont empêchées de demeurer longtemps par un principe contraire qui est dans la matière. Mais certaines sont produites dans la matière et selon une espèce imparfaite et un être imparfait, comme la lumière dans l'air par un corps lumineux. Car la lumière n'est pas dans l'air comme une forme naturelle parfaite selon qu'elle est dans un corps lumineux, mais plus par ressemblance. C'est pourquoi, de même que limage de l'homme ne demeure dans le miroir qu'aussi longtemps qu'il est en face de lui, de même la lumière n'est dans l'air que par la présence du corps lumineux; car de telles ressemblances dépendent des formes naturelles des corps par soi, et non seulement par accident, et c'est pourquoi leur être ne demeure pas quand cesse l'action des agents. Ainsi donc à cause de l'imperfection de leur être, on les appelle des êtres en devenir; mais on ne dit pas que les créatures parfaites sont dans le devenir à cause de l'imperfection de leur être, quoique l'action de Dieu pour leur production demeure sans défaillance .
7. L'action de l'agent corporel ne s'étend pas au-delà du mouvement ; et c'est pourquoi il est l'instrument du premier agent dans la sortie des formes de la puissance à l'acte, qui se fait par mouvement, mais pas dans leur conservation, sinon dans la mesure où sont maintenues dans la matière par un mouvement les dispositions par lesquelles la matière devient propre à la forme ; car ainsi, par le mouvement des corps célestes, les corps inférieurs sont conservés dans l'être.
8. Que la créature disparaisse si l'action divine cesse, n'est pas à cause du contraire qui serait dans la matière, parce que lui-même cesserait en même temps quelle, mais cest parce que la créature vient du néant, non pas parce que celui-ci la conduirait à la corruption, mais il nagirait pas pour sa conservation.
9. Si on pense que le pourvoyeur de formes est autre que Dieu, selon l'opinion d'Avicenne, il doit lui-même disparaître quand cesse l'action de Dieu, qui est sa cause.
10. Si l'action susdite cessait, la forme disparaîtrait, c'est pourquoi elle ne pourrait pas être le principe d'être.
11. Il faut dire que la matière nest pas engendrée parce qu'elle ne parvient pas à l'être par génération ; cependant cela n'empêche pas qu'elle vienne de Dieu, puisque tout ce qui est imparfait doit tirer son origine du parfait.
12. Il ne faut pas, parmi les uvres de Dieu, si on trouve lun des opposés contradictoires, en trouver un autre (car ainsi il y aurait entre eux quelque chose d'incréé, puisqu'il y là quelque chose de créé, quoique cela soit vrai des autres opposés. Mais ce dont parle l'objection ce sont des opposés contradictoires ; c'est pourquoi la raison nest pas valable.
13. Bien que chaque chose souhaite naturellement sa conservation, cependant ce nest pas pour être conservée par soi mais par sa cause.
14. L'universalité des créatures n'est pas absolument le meilleur, mais le meilleur est dans le genre du créé ; c'est pourquoi rien n'empêche que quelque chose soit meilleur quelle.
15. Parmi les biens dont la réunion achève létat de béatitude, le principe est lunion à la cause ; puisque la jouissance de Dieu est la béatitude de la créature rationnelle .
16. Tendre au néant n'est pas proprement un mouvement de la nature, qui est toujours pour le bien, mais c'est sa défaillance ; c'est pourquoi cette raison supposait une erreur.
17. L'agent violent dans cette mise en forme ( ?) violente est la cause selon le devenir, mais absolument pas selon l'être, comme cela se voit de ce qui a été dit (solution du 6e argument) ; c'est pourquoi quand l'action de l'agent cesse, elle peut demeurer pour un temps, mais pas longtemps à cause de son imperfection.
18. De même que la forme ne peut être principe d'être que par quelque principe premier présupposé, de même elle ne peut pas être principe pour l'opération, puisque Dieu opère en tout, comme dans une autre question (3, argument 6) on l'a montré ; ni principe de connaissance, puisque tout connaissance dérive de la lumière incréée.
Article 2 : Dieu peut-il communiquer à une créature le pouvoir de se conserver dans lêtre par soi et sans lui ?
Il semble que oui.
Objections :
1. Car créer est plus important que dêtre conservé dans lêtre par soi. Mais [le pouvoir de] créer a pu être communiqué à la créature, comme le dit le Maître des Sentences, (IV Sent. D. 5). Donc le pouvoir d'être conservé par soi dans lêtre [a pu lui être communiqué].
2. Il y a plus dans le pouvoir des choses et celui de Dieu, que dans celui de notre intellect. Mais celui-ci peut comprendre la créature sans Dieu. Donc Dieu, beaucoup plus, peut donner à la créature le pouvoir de se conserver dans lêtre par soi.
3. Une créature est à limage de Dieu, comme on le voit en Genèse 1, 26. Mais selon Hilaire (Le livre des Synodes) limage est la ressemblance dune chose indivisible, et semblable pour légaler. Et ainsi limage peut égaler ce dont elle est limage. Donc comme Dieu na pas besoin de quelque chose dextérieur qui le conserve, il semble quil peut communiquer ce même pouvoir quil possède à la créature.
4. Plus l'agent est parfait, plus parfait est leffet quil peut produire. Mais les agents naturels peuvent produire des effets qui sont conservés dans lêtre sans leurs agents. Donc Dieu peut le faire beaucoup plus.
En sens contraire :
Dieu ne peut rien faire qui diminuerait son autorité. Cela porterait préjudice à sa puissance, si un être pouvait exister sans être conservé par lui. Donc Dieu ne peut pas le faire.
Réponse :
Il ne convient pas à la toute puissance de Dieu quil puisse faire que deux choses contradictoires existent en même temps. Dire que Dieu fait quelque chose qui na pas besoin de sa conservation implique une contradiction. Car, déjà on a montré que tout effet dépend de sa cause, en tant que tel. Quand on dit : Une chose na pas besoin de la conservation de Dieu, on pense quelle na pas été créée par lui, et quand on dit : Dieu l'a faite, on pense quelle a été créée.
Donc que Dieu fasse quelque chose qui ne soit pas créé par lui, impliquerait une contradiction, de la même manière si on disait que Dieu fait une créature qui naurait pas besoin de son pouvoir de conservation. C'est pourquoi, à raison égale, Dieu ne peut faire ni lun, ni lautre.
Solutions :
1. Comme créer cest causer quelque chose ; ne pas avoir besoin de la conservation dun autre nexisterait que pour ce qui n'a pas de cause : il est clair quil est plus grand de ne pas avoir besoin dêtre conservé par un autre que créer ; de même il est plus important de ne pas avoir de cause que dêtre cause ; bien quil ne soit pas toujours vrai que créer soit communicable à la créature, en tant qu'acte du premier agent, comme on l'a dit dans une autre question (qu. 3, a. 3).
2. Quoique lintellect puisse comprendre (intelligere) la créature sans comprendre Dieu, cependant on ne peut pas comprendre que la créature ne soit pas conservée par Dieu ; car cela implique une contradiction, de même que comprendre que la créature na pas été créée par Dieu, comme on la dit (qu. 3, a. 5).
3. Légalité n'appartient absolument pas à la définition de limage, mais à celle de limage parfaite ; une telle image de Dieu nest pas une créature, mais le Fils. Cest pourquoi cette raison ne convient pas.
4. La réponse est éclairée par ce qui a été dit précédemment.
Article 3 : Dieu peut-il ramener la créature au néant ?
Il semble que non.
Objections :
1. Car Augustin, dans le livre des 83 questions (qu. 21), dit que Dieu nest pas cause de la tendance au non-être. Cela existerait sil ramenait la créature au néant. Donc Dieu ne peut pas ramener la créature au néant.
2. Les créatures corruptibles, qui, parmi les autres, ont un être plus faible, ne cessent dexister que par laction dune cause agente ; ainsi le feu est corrompu par un agent contraire en lui. Donc les autres créatures beaucoup moins ne peuvent cesser que par quelque action. Si donc Dieu ramenait une créature au néant, cela ne se ferait que par son action. Mais cest impossible. Car toute action, de même quelle vient de lêtre en acte, se termine de même dans un être en acte, puisquil faut quil soit fait à la ressemblance de celui qui le fait. Mais laction par laquelle un être est établi en acte, ne ramène absolument pas au non être. Donc Dieu ne peut rien ramener au néant.
3. Tout ce qui existe par accident est ramené à ce qui est par soi. Mais la défaillance et la corruption ne viennent daucune cause efficiente sinon par accident, puisque rien nopère sinon quen tendant au bien, comme le dit Denys (Les noms divins, 4). Cest pourquoi, quand le feu dénature leau, il ne tend pas à la privation de la forme de leau, mais à introduire une forme propre dans la matière. Donc une cessation ne peut être causée par un agent quen constituant une perfection en même temps. Là où est établie une perfection, il ny a pas de retour au néant. Donc Dieu ne peut rien ramener au néant.
4. Rien nagit quen vue dune fin. Car la fin est ce qui met en mouvement [la cause] efficiente. La fin de laction divine est sa bonté : ce qui peut exister dans la production des créatures, par laquelle elles obtiennent la ressemblance de la divine bonté, mais pas dans leur annihilation, par laquelle ce qui est retourné au néant séloignerait tout à fait de la ressemblance à Dieu. Donc Dieu ne peut rien ramener au néant.
5. Tant que la cause demeure, Il est nécessaire que leffet demeure. Car, si ce nest pas nécessaire, il sera possible que leffet existe et nexiste pas, une fois posée la cause ; et ainsi il aura besoin dun autre par lequel leffet est déterminé à lêtre ; et ainsi la cause ne sera pas suffisante pour lêtre causé. Mais Dieu est la cause suffisante des êtres. Donc, comme Dieu demeure, il est nécessaire que les choses demeurent dans lêtre. Mais Dieu ne peut pas faire que lui-même demeure dans lêtre. Donc il ne peut pas ramener les créatures au non être.
6. Mais on pourrait dire que Dieu ne sera pas une cause en acte lorsque les créatures retourneront au néant. En sens contraire, laction divine est celle de son être ; cest pourquoi Augustin (La Doctrine chrétienne, I, 32) veut que nous existions en tant que Dieu est. Mais son être ne lui est jamais advenu. Donc jamais il ne cesse dêtre en son action et ainsi il sera toujours une cause en acte.
7. Dieu ne peut agir contre les conceptions communes de lesprit, par exemple que le tout soit plus grand que sa partie. Mais la conception commune de lesprit chez les sages est que les âmes rationnelles sont éternelles. Donc Dieu ne peut pas faire quelles retournent au néant.
8. Le Commentateur dit (La métaphysique XI à propos de la Métaphysique d'Aristote, XII, com. 41) que ce qui a possibilité dêtre et ne pas être, ne peut pas acquérir sa nécessité dêtre dun autre. Donc certaines créatures qui ont la nécessité dêtre n'ont pas en soi la possibilité dêtre et ne pas être. Tout ce qui est incorruptible est de ce genre, comme les substances incorporelles et les corps célestes. Donc tous ceux-là nont pas de possibilité au non être. En conséquence, sils sont laissés à eux-mêmes une fois laction divine écartée, ils ne tomberont pas dans le non être et ainsi Dieu ne semble pas pouvoir les ramener au néant.
9. Ce qui est reçu dans quelque chose, nenlève pas la puissance à ce qui reçoit, mais il peut la parfaire. Donc si quelque chose se trouve avoir la possibilité au non être, rien de ce qui est reçu en lui ne pourra enlever cette possibilité. En conséquence ce qui a possibilité en soi de ne pas être, ne pourra acquérir la nécessité dêtre dun autre.
10. Ce qui différentie les genres, appartient à lessence, car le genre est une partie de la définition. Mais certains diffèrent en genre selon le corruptible et lincorruptible, comme on le voit en Métaphysique (X, 8, 1050 b 27). Donc léternité et lincorruptibilité appartiennent à lessence de lêtre. Dieu ne peut pas enlever à un être ce qui appartient à son essence ; car il ne peut pas faire quun homme existant en tant que tel ne soit pas un animal. Donc il ne peut enlever la durée sans fin aux êtres incorruptibles, et ainsi il ne peut pas les ramener au néant.
11. Le corruptible ne peut jamais être changé pour devenir incorruptible par nature ; car lincorruptibilité des corps ressuscités ne vient pas de la nature mais de la gloire, et cest parce que le corruptible et lincorruptible diffèrent en genre comme on la dit. Mais si ce qui a en soi possibilité de ne pas être pouvait acquérir sa nécessité dêtre de quelque chose, l'être corruptible pourrait être changé en incorruptible. Donc il est impossible quun être qui a en soi la possibilité de ne pas être acquièrent la nécessité dun autre et ainsi de même que plus haut.
12. Si les créatures nont de nécessité que selon quelle dépendent de Dieu, elles dépendent de lui selon quil est leur cause ; elles nauront de nécessité que par le mode qui convient à la causalité par laquelle Dieu est leur cause. Mais il est la cause des êtres non par nécessité, mais par volonté, comme on la montré dans une autre question (Pot. 3, 15). Donc il y aura nécessité dans les choses comme dans ce qui est causé par la volonté. Mais ce qui dépend de la volonté, nest pas simplement et absolument nécessaire, mais seulement dune nécessité conditionnelle, parce que la volonté nest pas déterminée nécessairement à un seul effet. Donc il en découle que, dans les créatures, rien nest absolument nécessaire, mais seulement sous condition, de même quil est nécessaire que Socrate soit en mouvement sil court, ou se promène, sil veut, sil nexiste aucun empêchement. Il semble en découler que rien nest dans les créatures absolument incorruptible, mais que tout est corruptible, ce qui ne convient pas.
13. Dieu est le souverain bien, il est aussi lêtre absolument parfait. Mais dans la mesure où il est le souverain bien, il lui appartient de ne pas pouvoir être cause du mal de la faute. Donc en tant quêtre absolument parfait, il ne lui revient pas de pouvoir être cause du retour au néant des êtres.
14. Augustin dit (Enchiridion, XI) que Dieu est si bon que jamais il ne permettrait que quelque chose de mal soit fait, à moins quil ne soit assez puissant pour pouvoir tirer un bien de nimporte quel mal. Mais si les créatures retournaient au néant, il ne pourrait en tirer aucun bien. Donc Dieu ne peut pas permettre que les créatures tombent dans le néant.
15. La distance nest pas plus petite de lêtre au néant, que du néant à lêtre. Mais amener quelque chose du néant à lêtre demande une puissance infinie, à cause de la distance infinie. Donc amener de lêtre au néant, ne dépend que dune puissance infinie. Mais aucune créature na de puissance infinie. Donc, si on retire laction du Créateur, la créature ne pourra pas retourner au néant. Cest de cette seule manière quon disait que Dieu pouvait ramener au néant, à savoir en retirant son action. Donc Dieu ne peut pas ramener les créatures au néant.
En sens contraire :
1. Origène dit dans le Periarchon : Ce qui a été donné, peut être enlevé et se retirer. Mais lêtre est donné par Dieu à la créature. Donc il peut être enlevé, et ainsi Dieu peut ramener les créatures au néant.
2. Ce qui dépend de la volonté absolue de Dieu peut aussi cesser, sil le veut. Mais tout lêtre de la créature dépend de la volonté absolue de Dieu, puisqu'il est cause des êtres par volonté, et non par nécessité de nature. Donc, si Dieu le veut, les créatures peuvent être ramenées au néant.
3. Dieu nest pas plus débiteur envers les créatures, après quelles ont commencé à être, quavant. Mais avant quelles aient commencé, sans aucun préjudice pour sa bonté, il pouvait cesser de communiquer lêtre aux créatures, parce que sa bonté n'en dépend en rien. Donc Dieu peut, sans préjudice pour sa bonté, retirer son action aux créatures ; cela établi, elles retourneraient au néant, comme on la montré dans larticle précédant. Dieu peut donc ramener les créatures au néant.
4. Par la même action, Dieu amène les choses à lêtre et les y conserve, comme on la montré plus haut. Mais il a pu ne pas les amener à l'être. Donc, pour la même raison, il peut les ramener au néant.
Réponse :
Pour ce qui est produit par Dieu, on dit que quelque chose est possible de deux manières :
1) Par la seule puissance de lagent : ainsi avant que le monde nait été fait, il était possible quil soit fait, non par la puissance de la créature qui nexistait pas, mais seulement pas la puissance de Dieu, qui pouvait amener le monde à lêtre.
2) Par la puissance qui existe dans ce qui est produit ; ainsi il est possible quun corps composé soit corrompu.
Donc si nous parlons de possibilité au non être du côté des créatures, certains à ce sujet se sont exprimés de deux manières :
a) Car Avicenne (Métaphysique, VIII, c. 6) a pensé que chaque chose en dehors de Dieu avait en soi la possibilité dêtre et ne pas être. En effet, puisque lêtre est au-delà de lessence de nimporte quelle créature, sa nature, même considérée en soi, a la possibilité dêtre ; mais elle na la nécessité dêtre que par un autre, dont la nature est son être et par conséquent qui a par soi la nécessité dêtre et cest Dieu.
b) Mais le Commentateur (Métaphysique, XI, texte 4 et Livres des substances du monde) pense le contraire, à savoir quil existe certaines créatures dans la nature desquelles il ny a pas possibilité au non être, parce que, ce qui, dans sa nature a possibilité au non être, ne peut pas acquérir léternité de lextérieur, pour être éternel par nature. Et cette position paraît plus rationnelle. Car la puissance à être et à ne pas être ne convient à une chose que par la nature de sa matière, qui est pure puissance. Comme la matière aussi ne peut exister sans forme, elle ne peut être en puissance au non être que dans la mesure où existant sous une forme, elle est en puissance pour une autre.
Donc il peut arriver de deux manières que, dans la nature dune chose, il ny ait pas de possibilité pour le non être :
1) Par la fait qu'elle est seulement une forme subsistante en son être, comme les substances incorporelles, qui sont tout à fait immatérielles. Car si la forme, du fait quelle est dans la matière, est principe dêtre de ce qui est matière, la chose matérielle ne peut pas ne pas exister, sinon par séparation de la forme ; là où la forme même subsiste en son être, elle ne pourra en aucune manière ne pas être ; ainsi son être ne peut pas être séparé de lui-même.
2) Par le fait que, dans la matière, il ny a pas de puissance à une autre forme, mais toute la possibilité de la matière se termine à une seule forme, comme dans les corps célestes, dans lesquels il ny a pas de formes contraires.
Donc seul a la possibilité dans sa nature à ne pas être ce en quoi la matière est soumise à la contrariété. Mais la nécessité dêtre selon leur nature appartient à dautres choses, une fois enlevée de leur nature la possibilité de ne pas être. Et cependant cela nempêche pas que la nécessité dêtre leur vienne de Dieu, parce qu'une chose nécessaire peut être cause dune autre, comme on le dit (Métaphysique, V, 5, 1015 b 10). Car la cause de la nature créée, à qui appartient léternité, est Dieu. Dans ce en quoi il y a possibilité au non être, la matière demeure, mais les formes sont comme éduites de la puissance de la matière en acte dans la génération, de même que dans la corruption, elles sont ramenées en ce en quoi elles sont en puissance. Cest pourquoi il reste que dans toute la nature créée, il ny a pas de puissance par laquelle quelque chose puisse tendre au néant.
Mais si nous recourons à la puissance de Dieu créateur, il faut considérer alors quil y a deux manières de dire que quelque chose est impossible à Dieu.
1) Dune première manière, ce qui est impossible en soi, parce que ce n'est pas destiné à être soumis à une puissance : ainsi ce qui implique une contradiction.
2) Dune autre manière, de ce qui est nécessité pour l'opposé ; ce qui arrive de deux manières dans un agent :
a) Du côté de la puissance active naturelle, qui se termine à un effet seulement, comme la puissance du chaud pour réchauffer ; et de cette manière, Dieu le Père engendre nécessairement le Fils et il ne peut pas ne pas l'engendrer.
b) Du côté de la fin dernière à laquelle tout tend par nécessité ; ainsi l'homme veut nécessairement sa béatitude, et il est impossible qu'il veuille le malheur, et de la même manière Dieu veut nécessairement sa bonté, et il est impossible qu'il veuille ce avec quoi sa bonté ne peut pas exister, ainsi nous disons qu'il est impossible que Dieu mente ou veuille mentir.
Mais que les créatures n'existent absolument pas n'est pas impossible en soi, comme si cela impliquait une contradiction, autrement elles auraient été éternelles. Parce qu'elles ne sont pas leur être, comme quand on dit que la créature n'existe absolument pas, l'opposé du prédicat est inclus dans la définition, comme si on disait que l'homme n'est pas un animal rationnel, car les propositions de ce genre impliquent une contradiction, et sont en soi impossibles. De la même manière Dieu ne produit pas les créatures par nécessité de nature, de sorte que sa puissance soit ainsi déterminée à l'être de la créature, comme on l'a prouvé dans une autre question (3 a. 21). De même aussi la bonté de Dieu ne dépend pas des créatures, de sorte qu'il ne puisse exister sans créatures, parce quelles najoutent rien à sa bonté.
Il reste donc qu'il n'est pas impossible que Dieu ramène les créatures au non être, puisqu'il est nécessaire qu'il leur fournisse lêtre, sauf dans lhypothèse de sa disposition et de sa prescience, parce qu'il a ordonné ainsi et préconçu que les choses demeureraient en l'être éternellement.
Solutions :
1. Si Dieu ramenait les créatures au néant, il ne serait pas cause de la tendance au non-être, car cela n'arriverait pas parce qu'il causerait le non être dans les créatures, mais parce qu'il cesserait de leur donner lêtre.
2. Ce qui est corruptible cesse d'exister du fait que la matière reçoit une autre forme, avec laquelle la première ne peut pas demeurer, et c'est pourquoi pour leur corruption est requise l'action d'un agent par laquelle une forme nouvelle passe de la puissance à l'acte. Mais si Dieu ramenait les choses au non être, aucune action ne serait nécessaire, il renoncerait seulement à l'action par laquelle il leur a attribué l'être ; ainsi l'absence de laction du soleil qui éclaire cause la privation de lumière dans l'air.
3. Cette raison conviendrait si Dieu en agissant, pouvait ramener les choses au néant ; ce qui n'est pas le cas, mais plutôt il renonce à son action, comme on l'a dit.
4. Là où il n'y a pas d'action, il n'est pas nécessaire de chercher une fin. Mais parce que renoncer à l'action ne peut exister en Dieu que par sa volonté, qui n'est que sa fin, on pourrait dans cet anéantissement trouver une fin, comme dans la production des choses, la fin est la manifestation de l'abondance de la bonté divine, de la même manière dans leur annihilation, la fin peut être la suffisance de sa bonté, en tant qu'elle n'a besoin de rien d'extérieur.
5. L'effet découle de la cause et existe selon son mode, c'est pourquoi les effets qui découlent de la volonté, procèdent delles quand elle a décidé qu'il fallait le produire ; mais non par nécessité, quand il y a volonté. Et parce que les créatures procèdent de Dieu par volonté, elles ont l'être quand il veut qu'elles existent ; non par nécessité, mais chaque fois que cest sa volonté, autrement elles auraient été éternelles.
6. Dans l'action de Dieu, par laquelle il produit les choses, il faut considérer deux points de vue, à savoir la substance de l'opération et la relation à l'effet. Comme la substance de l'opération est l'essence de Dieu, elle est éternelle et ne peut pas ne pas exister, mais la relation à l'effet, dépend de la volonté divine, car de n'importe quelle action de celui qui produit, il ne découle un effet que selon l'exigence du principe d'action ; en effet, le feu réchauffe selon le mode de la chaleur. C'est pourquoi comme la volonté est le principe de ce qui est produit pour Dieu, dans son action, il y a une relation à l'effet, selon que la volonté la détermine. Et c'est pourquoi, bien que l'action ne puisse cesser selon sa substance, cependant la relation à l'effet pourrait cesser, si Dieu le voulait.
7. On dit que la conception commune de l'esprit est celle dont l'opposé inclut une contradiction ; ainsi le tout est plus grand que sa partie , parce que, ne pas être plus grand que sa partie est contre la nature du tout. Mais que l'âme rationnelle n'existe pas n'est pas la conception commune de l'esprit, comme cela paraît de ce qui a été dit, mais que sa nature ne soit pas corruptible, cest cela la conception commune. Mais si Dieu la ramenait au néant, cela ne se ferait pas par un puissance au non être, qui serait dans sa nature, comme on l'a dit.
8. Ce en quoi il y a la possibilité au non être par nature, ne reçoit pas la nécessité d'être d'un autre, de sorte que cela lui appartienne en nature, parce que cela impliquerait contradiction, à savoir que la nature pourrait ne pas être et qu'elle aurait la nécessité d'être, mais ce qui aurait l'incorruptibilité de la grâce ou la gloire, n'en serait pas empêché. Ainsi le corps d'Adam a été d'une certaine manière incorruptible par la grâce de l'innocence et les corps des ressuscités seront incorruptibles par gloire, par le pouvoir de l'âme adhérant à son principe. Cependant il nest pas exclus que la nature même dans laquelle il n'y a pas possibilité au non être ait nécessité d'être d'un autre ; puisque ce qui participe de la perfection lui vient d'un autre ; c'est pourquoi si l'action de sa cause cessait, elle disparaîtrait non à cause de la puissance au non être qui serait en elle, mais à cause du pouvoir de Dieu de ne pas lui donner l'être.
9. Dans ce qui est par nature incorruptible, on ne préconçoit pas la puissance au non être qui est enlevée par quelque chose reçue de Dieu, selon ce que l'objection avançait, et cela paraît de ce qui a été dit. Mais dans ce qui est incorruptible par grâce demeure la possibilité au non être dans la nature même ; qui cependant est totalement empêchée par la grâce par le pouvoir de Dieu.
10. Si Dieu ramenait les créatures incorruptibles au néant, en cessant de les conserver, ce nest pas à cause de cela quil enlèverait l'éternité de la nature, comme si elle ne demeurait pas éternelle ; mais elle disparaîtrait tout entière par la cessation de l'influx de la cause.
11. Le corruptible par nature ne peut pas être changé pour devenir incorruptible par nature, ni l'inverse, quoique ce qui est corruptible par nature, puisse devenir éternel par l'arrivée de la grâce. Cependant il ne faut pas penser que ce qui est corruptible par nature devient incorruptible, parce qu'il cesserait d'être sans que la cause cesse.
12. Bien que les créatures incorruptibles dépendent de la volonté de Dieu, qui peut leur apporter lêtre ou pas, elles en reçoivent l'absolue nécessité d'être, dans la mesure où elles sont causées en une nature où il n'y a pas possibilité au non être ; car toutes sont telles que Dieu a voulu qu'elles soient, comme Hilaire le dit dans le livre des Synodes.
13. Bien que Dieu puisse ramener les créatures au néant, cependant ils ne peut pas faire que, si elles demeurent, lui-même ne soit pas leur cause ; mais il est comme leur cause efficiente et comme leur cause finale. Donc de même que Dieu ne peut pas faire que la créature qui demeure dans l'être ne soit pas de lui, il ne peut pas faire qu'elle ne soit pas ordonnée à sa bonté. C'est pourquoi, comme le mal de la faute prive l'ordre qui est en lui comme dans la fin, parce quil est détournement du bien immuable, Dieu ne peut pas être cause du mal de la faute, quoiqu'il puisse être cause du retour au néant, en cessant tout à fait la conservation.
14. Augustin parle du mal de la faute, et s'il parlait aussi du mal de la peine, le retour au néant des choses cependant n'est aucun mal ; parce que tout mal est fondé sur le bien, puisqu'il en est la privation, comme il le dit (Enchiridion, 11). C'est pourquoi, comme avant la création des choses, il n'y avait pas de mal, ainsi il n'y aurait pas de mal si Dieu ramenait tout au néant.
15. Dans aucune créature il n'y a un pouvoir qui puisse ou bien de rien faire quelque chose, ou bien ramener quelque chose au néant. Mais que les créatures soient ramenées au néant, si la conservation de Dieu cessait, cela ne viendrait pas par une action de la créature, mais de sa défaillance, comme cela paraît dans ce qui a été dit.
Article 4 : La créature doit-elle retourner au néant, ou même y retourne-t-elle ?
Il semble que oui.
Objections :
1. Car une puissance finie ne peut pas mouvoir pendant un temps infini, de même rien ne peut exister par une puissance finie pendant un temps infini. Mais toute puissance d'un corps est finie, comme on le prouve (Phys. VIII, 10, 266 a 25- 266 b 5). Donc, dans aucun corps, il n'y a de puissance pour durer un temps infini. Il existe certains corps qui ne peuvent pas être corrompus, du fait qu'ils nont pas de contraire, comme les corps célestes. Donc il est nécessaire quun jour ils retournent au néant.
2. Ce qui sert à atteindre une fin, une fois celle-ci acquise, il n'en est plus besoin, comme on le voit pour le bateau, nécessaire pour ceux qui traversent la mer, mais non quand elle est déjà traversée. Mais la créature corporelle est créée en vue de la créature spirituelle quelle aide à parvenir à sa fin. Donc quand la créature spirituelle sera installée en sa fin ultime, elle n'aura plus besoin de ce qui est corporel. Donc comme rien n'est superflu dans les uvres de Dieu, il semble quà la fin ultime du monde, toute créature corporelle disparaîtra.
3. Rien de ce qui existe par accident n'est infini. Mais l'être est par accident pour nimporte quelle créature, comme le dit Avicenne (Métaphysique VIII, 4) ; c'est pourquoi Hilaire (La Trinité, VII), distinguant Dieu de la créature, dit : L'être n'est pas un accident en Dieu. Donc aucune créature ne durera éternellement, et ainsi elles disparaîtront. toutes un jour
4. Le fin doit répondre au commencement. Mais les créatures ont reçu un commencement, après quil ny eut rien, sauf Dieu. Donc là encore les créatures seront ramenées à une fin parce que ce sera tout à fait le néant.
5. Ce qui n'a pas le pouvoir d'exister toujours, ne peut pas durer éternellement. Mais ce qui n'a pas toujours existé, n'a pas ce pouvoir. Donc cela ne peut pas durer éternellement. Mais les créatures nont pas toujours existé. Donc elles ne peuvent durer éternellement, et ainsi un jour elles retourneront au néant.
6. La justice requiert quà cause de son ingratitude, quelqu'un soit privé d'un bienfait reçu ou concédé. Mais par le péché mortel, l'homme se montre ingrat. Donc la justice exige qu'il soit privé de tous les bienfaits de Dieu, parmi lesquels lêtre lui-même. Mais le jugement de Dieu sera juste pour les pécheurs, selon l'Apôtre (Rm. 2, 2). Donc ils seront ramenés au néant.
7. Il y a ce qui est dit en Jérémie (10, 24) Corrige-moi, Seigneur, dans une juste mesure, cependant et sans fureur, pour ne pas me ramener au néant.
8. Mais on pourrait dire, que Dieu punit toujours en deçà de ce qui est mérité, à cause de sa miséricorde, qui est mêlée à la justice dans son jugement ; et ainsi il n'exclut pas totalement les pécheurs de la participation à ses bienfaits. En sens contraire, la miséricorde nest pas conservée à cet homme pour lui donner quelque chose qu'il lui serait meilleur de ne pas avoir. Mais pour celui qui est condamné à l'enfer, il eut mieux valu ne pas exister que d'être ainsi, ce qui paraît par ce qui est dit en Mt. 26, 24, au sujet de Juda : Il était meilleur pour cet homme de n'être pas né. Donc il ne revient pas à la miséricorde de Dieu de conserver les condamnés dans l'être .
9. L'être qui n'a pas de matière en participation, est corrompu tout à fait, c'est-à-dire totalement, quand il cesse d'être, (comme on le dit en Métaphysique III), comme les accidents. Ceux-ci cessent fréquemment d'exister. Donc certains retourneront au néant.
10. La philosophe (Physique VI, 1, 231 b 25) démontre que, si le continu vient de lindivisible, il est nécessaire que l'indivisible soit divisé. Cest pour cela quon peut accepter que chacun soit ramené en ce dont il vient. Mais toutes les créatures viennent du néant. Donc toutes, un jour, y retourneront.
11. En II Pier, III, 10, il est dit : Les cieux se dissiperont avec grand fracas Mais ils ne peuvent passer par corruption en quelque autre corps, puisqu'ils n'ont pas de contraire. Donc ils iront au néant.
12. Il est dit de même au Ps. 101, 26 : Les cieux sont luvre de tes mains, ils périront. et en Lc 21, 33 on lit : La ciel et la terre passeront.
En sens contraire :
1) Il y a ce que est dit dans l'Eccl 1, 4 : Mais la terre demeure éternellement. En outre Eccl. 3, 14 : J'ai appris que toutes les uvres faites par Dieu demeureront éternellement. Donc les créatures ne retourneront pas au néant.
Réponse :
La totalité des créatures ne retournera jamais au néant. Et quoique les créatures corruptibles n'aient pas toujours existé, elles dureront éternellement, cependant selon leur substance ; bien que quelques-uns aient pensé que toutes les créatures corruptibles disparaîtront dans le non être à l'ultime consommation du monde, ce qui est écrit d'Origène, qui cependant ne semble en parler qu'en rapportant l'opinion des autres.
Cependant nous pouvons accepter sa raison de deux points de vue :
1) De la volonté divine dont l'être des créatures dépend. Car la volonté de Dieu, quoique considérée dans l'absolu, se comporte vis-à-vis des opposés dans les créatures ; parce quelle n'est pas plus obligée envers l'une qu'envers l'autre, cependant par hypothèse elle a une certaine nécessité. Car, dans les créatures, ce qui se comporte à lopposé est considéré comme nécessaire par la situation établie, comme il est possible que Socrate s'assied, ou pas ; cependant il est nécessaire qu'il soit assis quand il s'assied ; de la même manière la volonté divine, qui, en tant que cela dépend d'elle, peut vouloir quelque chose et son opposé, comme sauver Pierre, ou non, ne peut pas vouloir que Pierre ne soit pas sauvé, pendant quelle veut le sauver. Et parce que sa volonté est immuable, si on pense quelle veut quelque chose une fois, il est nécessaire par supposition qu'elle le veuille toujours, bien quil ne soit pas nécessaire qu'elle veuille qu'existe toujours ce qu'elle veut exister quelquefois.
Mais quiconque veut quelque chose pour lui, veut que cela existe toujours, du fait qu'il le veut pour lui. Car si quelqu'un veut quune chose existe un temps, et quensuite elle nexiste plus, il veut quelle existe pour accomplir quelque chose ; cela achevé, il n' a plus besoin de ce qu'il voulait pour l'accomplir. Mais Dieu veut la totalité des créatures pour elle-même, bien quil la veuille aussi pour lui ; car ces points de vue ne s'opposent pas. Car Dieu veut que les créatures existent à cause de sa bonté, pour qu'elles l'imitent à leur manière et le représentent ; ce qu'elles font dans la mesure où elles ont l'être par sa bonté, et qu'elles subsistent dans leur nature. C'est pourquoi c'est le même chose de dire, que Dieu fit tout à cause de lui (ce qui est dit en Prov. 16, 4 : Le Seigneur a tout fait pour lui-même), et qu'il ait fait les créatures à cause de leur être, ce qui est dit en Sg. 1, 14, Car [Dieu] a créé pour que tout existe. C'est pourquoi du fait que Dieu a institué les créatures, il est clair qu'il a voulu qu'elle durent toujours ; et l'opposé narrive jamais à cause de son immutabilité.
2) [Nous pouvons laccepter] à cause de la nature même des choses ; car ainsi Dieu a institué chaque nature, pour que son caractère propre ne lui soit pas enlevé ; c'est pourquoi il est dit en Rm 11, 24, dans la Glose (ordinaire, pour cette parole : Greffé contre nature) que Dieu qui est le créateur des natures n'agit pas contre elles, même si quelquefois pour mettre la foi en lumière, il opère en elles ce qui dépasse leur nature. Mais le caractère naturel des êtres immatériels qui nont pas de contraire, est leur éternité ; parce que, en eux, il n'y a pas de puissance au non être, comme on l'a montré ci-dessus. C'est pourquoi, de même qu'il n'enlève pas le penchant naturel du feu, qui tend vers le haut, de même il n'élève pas l'éternité aux choses dont on a parlé, pour les ramener au néant.
Solutions :
1. Selon le Commentateur (Métaphysique, 9, com. 41), bien que toute puissance, qui est dans un corps, soit limitée à l'être, il ne faut pas cependant que, dans quelque corps, il y ait une puissance limitée à l'être, parce que dans les corps corruptibles par nature, il n'y a pas de puissance à être, ni finie, ni infinie, mais puissance à se mouvoir seulement. Mais cette solution ne semble pas valable : parce que la puissance à être non seulement est reçue selon le mode de la puissance passive, qui vient de la matière, mais aussi selon le mode de la puissance active, qui vient de la forme, qui ne peut pas manquer dans les choses incorruptibles. Car autant il y a de forme en chacun, autant il y a de pouvoir à être ; c'est pourquoi aussi dans le Ciel et le monde, I, le philosophe veut que certaines [formes] aient un pouvoir et une puissance à exister toujours.
Et c'est pourquoi il faut dire autrement : avoir l'infinité du temps n'est pas démontré par l'infinité du temps, sauf si c'est mesuré par le temps ou par soi, comme le mouvement, ou par accident, comme l'être des choses soumises au mouvement, dont certaines durent le temps du mouvement, au-delà duquel elles ne peuvent pas durer. Mais l'être du corps céleste n'est atteint en aucune manière, ni par le temps, ni par le mouvement, puisqu'il est absolument invariable. C'est pourquoi de ce que le ciel soit dans un temps infini, son être n'en tire aucune infinité, comme existant tout à fait hors du déroulement du temps ; cest pour cela que les théologiens disent qu'il est mesuré par l'ævum. C'est pourquoi aucun pouvoir infini n'est requis dans le ciel pour qu'il dure toujours.
2. De même qu'une partie de l'armée est ordonnée à lautre et au général, de même la créature corporelle est ordonnée pour aider à la perfection de la créature spirituelle, et pour représenter la bonté divine, ce qui se fera toujours, bien que la première cesse.
3. L'être n'est pas appelé accident, parce qu'il serait dans le genre de l'accident, si nous parlons de l'être de la substance (c'est en effet l'acte de l'essence), mais par une certaine ressemblance ; parce quil nest pas partie de lessence ni de laccident. Si cependant il était dans le genre de l'accident, rien n'empêcherait qu'il dure à l'infini ; car par soi les accident sont par nécessité dans les substances ; c'est pourquoi rien n'empêche quils y soient à perpétuité. Mais les accidents qui sont dans les substrats par accident, ne durent en aucune manière à perpétuité selon la nature. L'être de ce genre ne peut être lêtre même substantiel de la chose, puisqu'il est l'acte de lessence.
4. Avant que les choses existent, il n'y avait pas de nature, dont le caractère propre soit léternité, comme il y a une nature pour les choses déjà créées. Et en outre, cela a pu être en vue de la perfection de la créature spirituelle, que les choses n'ont pas toujours existé, parce quainsi Dieu se montre expressément comme leur cause. Mais aucune utilité nen découle si tout est ramené au néant. Et c'est pourquoi ce n'est pas pareil pour le commencement et la fin.
5. Ce qui durera toujours a pouvoir d'exister toujours ; cependant ce pouvoir il ne l'a pas eu toujours, et c'est pourquoi il na pas toujours existé.
6. Bien que Dieu, par justice, puisse retirer l'être à créature qui pèche contre lui, et la ramener au néant, cependant c'est une justice plus conforme de la conserver dans l'être pour le châtiment, et cela pour deux raisons.
1) Parce que cette justice ne serait en rien mêlée à la miséricorde, puisque rien ne demeurerait à qui il pourrait laccorder ; on dit au Ps. 24, 10 que toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité.
2) Parce que cette justice répond plus convenablement à la faute pour deux raisons :
a) parce que, dans la faute, la volonté agit contre Dieu, mais pas la nature qui conserve l'ordre inscrit par Dieu, et c'est pourquoi tel doit être le châtiment qui châtie la volonté, en blessant la nature dont la volonté abuse. Mais si la créature est ramenée tout à fait au néant, ce sera un aussi grand préjudice pour la nature et non une accablement de la volonté.
b) Parce que, comme dans le péché, il y a deux mouvements, à savoir le détournement du bien immuable, et l'adhésion au bien changeant, cette dernière entraîne après elle le détournement ; car personne en péchant ne tend à se détourner de Dieu, mais cherche à jouir du bien temporel, avec lequel il ne peut pas en même temps jouir de Dieu. C'est pourquoi, comme la peine du châtiment répond au détournement de la faute, la peine du sens convient à l'adhésion à la faute actuelle, il est convenable que la peine du préjudice ne soit pas sans peine du sens. Mais si la créature retournait au néant, ce serait la peine éternelle du préjudice, mais la peine du sens ne demeurerait pas.
7. Le jugement dont le Prophète fait mention, apporte la conséquence annoncée ou lopération du châtiment pour la faute. Car la fureur de laquelle il demande à être libéré est celle qui exclut la modération de la miséricorde.
8. On dit que qu'une chose est meilleure, ou bien, à cause de la présence de plus de bien, et ainsi il est meilleur pour le condamné dexister que de ne pas exister, ou bien, à cause de l'absence de mal ; parce que le manque de mal, appartient à la définition du bien, selon le philosophe (Éth., 5, 8). Et cest ainsi quon comprend la parole du Seigneur qui est rapportée.
9. Même si les formes et les accidents n'ont pas de matière en participation, ils ont cependant la matière dans laquelle ils sont et de la puissance dont ils sont éduits, c'est pourquoi, quand ils cessent d'exister, ils ne sont pas tout à fait ramenés au néant, mais ils demeurent dans la puissance de la matière, comme plus haut.
10. Les créatures viennent du néant, de la même manière, elles sont aussi capables d'y retourner, si cela plaisait à Dieu.
11 et 12. Ces autorités ne sont pas à comprendre comme si la substance du monde périssait, mais en figure, comme l'Apôtre le dit (1 Co. 7, 31).