Previous PageNext Page

COMMENTAIRE DU PSAUME 5

1 Pour la fin, pour celle qui obtient l'héritage.

2 Prête l'oreille à mes paroles, Seigneur, entends mon cri. 3 Sois attentif à la voix de ma prière, mon roi et mon Dieu. 4 Parce qu'à toi j'adresserai ma prière, Seigneur.

5 Dès le matin tu entendras ma voix. Dès le matin je me présenterai à toi, et je verrai que tu n'es pas un Dieu voulant l'iniquité. 6 Le méchant n'habitera pas près de toi ; et les injustes ne demeureront pas devant tes yeux.

7 Tu hais tous ceux qui opèrent l'iniquité, tu perdras ceux qui disent le mensonge. Le Seigneur aura en abomination l'homme sanguinaire et fourbe.

8 Mais moi, dans l'abondance de ta miséricorde, j'entrerai dans ta maison, j'adorerai en m'approchant de ton temple saint, [pénétré] de ta crainte.

9 Seigneur, conduis-moi dans ta justice à cause de mes ennemis ; dirige ma voie en ta présence.

10 Parce que la vérité n'est point en leur bouche, leur coeur est vain. 11a Leur gosier est un sépulcre ouvert, avec leurs langues ils agissaient trompeusement.

11b Juge-les, ô Dieu. 11c Qu'ils soient déçus de leurs pensées ;

11d à cause de la multitude de leurs impiétés, chasse-les, parce qu'ils t'ont irrité, Seigneur.

12 Mais qu'ils se réjouissent tous ceux qui espèrent en toi ; éternellement ils exulteront, et tu habiteras en eux. Et ils se glorifieront en toi, tous ceux qui aiment ton nom.

13 Parce que toi, tu béniras le juste, Seigneur, tu nous as couronnés de ta bonne volonté comme avec un bouclier.

1 Pour la fin, pour celle qui obtient l'héritage.

Dans le psaume précédent le psalmiste a exposé publiquement sa prière contre ses persécuteurs ; dans ce psaume il prie contre ceux qui répandent des fourberies, afin de ne pas être trompé. Et à ce propos il formule deux demandes : d'abord celle de ne pas être trompé ; puis au psaume 6 d'être relevé de sa chute dans le péché : « Seigneur, ne me reprends pas dans ta fureur. »

Ce psaume a un titre qui comprend un aspect nouveau, à savoir : Pour la fin, pour celle qui obtient l'héritage. Ce titre fait allusion à son sens littéral et à son sens mystique.

Son sens littéral peut se comprendre de deux manières.

D'abord, suivant l'exposition de la Glose, l'histoire de la Genèse rapporte que Sara voyant jouer Ismaël avec son fils Isaac, en fut troublée et dit à Abraham : « Chasse cette servante et son fils, car le fils de cette servante n'héritera pas avec mon fils Isaac. » À la vérité Sara comprit que ce jeu était une persécution dirigée contre Isaac ; mais Abraham accueillit avec dureté les propos de Sara à l'égard de son propre fils Ismaël. Cependant Dieu lui dit : « Qu'elle ne te paraisse pas dure [cette parole] sur l'enfant et sur ta servante : tout ce que Sara te dit, écoute sa voix ; parce que c'est en Isaac que sera ta postérité, etc. » ; comme s'il disait : Isaac sera ton héritier, non point Ismaël. D'où ce qui est écrit plus loin : « Abraham donna tout ce qu'il possédait à Isaac, mais aux fils de ses autres femmes, il fit des présents, les sépara d'Isaac, son fils, et les envoya, pendant que lui vivait encore, vers la région orientale. » C'est pourquoi ce psaume peut se référer à cette histoire. Selon le sens littéral, il s'agit du peuple des Juifs obtenant l'héritage promis à Abraham, dont David était le chef et le roi, mais selon le sens mystique il s'agit du peuple chrétien : « Or nous, frères, nous sommes les fils de la promesse selon Isaac. » Donc ce psaume se rapporte à la fin, c'est-à-dire au Christ qu'il loue. pour celle, à savoir l'Église qui obtient l'héritage, la Synagogue ayant été rejetée. Ou bien, selon la version iuxta Hebraeos de Jérôme, le titre est : Victori pro heredibus canticum David (Cantique à David vainqueur pour ceux qui obtiennent les héritages) ; et on peut comprendre par là que ce psaume a été composé pour célébrer la victoire que de fait David a remportée. Et il faut savoir que David dans sa fuite perdit son héritage à cause d'Absalom, comme on le rapporte au deuxième livre des Rois. C'est pourquoi de même que le psaume précédent fut composé pour célébrer la libération et la victoire contre Absalom, ainsi le psalmiste composa celui-ci pour demander la récupération de son héritage. Car à la suite de son retour à Jérusalem, les gens de David se soulevèrent encore avec fourberie et certains d'entre eux contre lui. C'est pourquoi David demanda de convoquer dans les trois jours tous les hommes de Juda, afin de pourchasser Shéba fils de Bikri ; car le fils de Bikri va nous affliger davantage qu'Absalom. Il avait en effet passé à travers toutes les tribus d'Israël jusqu'à Abel, et tous les hommes choisis s'étaient assemblés auprès de lui, Shéba ayant été décapité, David régna sur tout Israël.

2 Prête l'oreille à mes paroles, Seigneur, entends mon cri. 3 Sois attentif à la voix de ma prière, mon roi et mon Dieu. 4 Parce qu'à toi j'adresserai ma prière, Seigneur.

Selon le sens littéral trois choses sont à considérer dans ce psaume.

I) D'abord la demande du psalmiste en vue d'être exauce.

II) Ensuite la manifestation de la confiance qu'il a d'être exaucé : Dès le matin, etc.

III) Enfin l'objet de sa demande : Seigneur, conduis-moi, etc.

I. Concernant sa demande il expose deux choses :

A) D'abord sa demande d'être exaucé.

B) Ensuite il donne une raison à cet exaucement : mon roi.

A. Il faut noter que celui qui veut solliciter quelque chose de quelqu'un procède de la manière suivante : Il commence par désirer ce qu'il veut solliciter. Puis il médite les paroles à exprimer. Enfin il les expose auprès de celui qui exauce.

Mais pour l'auditeur c'est le contraire : Il commence par percevoir les paroles par l'ouïe. Puis il comprend le sens des paroles par l'intelligence. Enfin il se dispose à satisfaire le désir de celui qui le sollicite.

C'est donc de cette manière que David s'adresse à Dieu.

Il sollicite d'abord une première chose, c'est-à-dire que Dieu écoute ses paroles par l'oreille extérieure, lorsqu'il dit : Prête l'oreille à mes paroles, Seigneur.

Ensuite il fait porter sa demande sur le sens, c'est-à-dire l'intelligence de ses paroles, lorsqu'il dit : [Comprends] mon cri, non point mon sentiment extérieur mais intérieur : « Mon cri poussé en sa présence est parvenu à ses oreilles. » La version iuxta Hebraeos de Jérôme lit : » Intellige murmur meum (Comprends mon murmure) » que j'ai pensé faire entendre ; et cette version s'accorde avec cette autre traduction qui dit : Meditationem (méditation).

Enfin il sollicite une troisième chose, c'est-à-dire l'exaucement : Sois attentif à la voix de ma prière, c'est-à-dire veuille exaucer ma prière : « Dieu, viens à mon aide. »

Cependant on peut se demander Si Dieu accomplit séparément ces actes successifs : entendre, prêter attention, exaucer.

On répondra que le psalmiste parle de manière métaphorique, en ce sens que Dieu approuve tous ces actes : paroles extérieures, méditation intérieure, et ce qu'il expose.

B. Ensuite il donne une raison à cet exaucement quand il dit : mon roi. Et c'est le début du verset selon un texte grec : « ho basileús mou. » Le psalmiste allègue trois raisons qui justifient l'exaucement.

Du côté de Dieu :

1. La première de ces raisons étant : mon roi. Car il appartient au roi de gouverner. Étant donné donc que cela concerne Dieu, il lui incombe de pourvoir aux nécessités : « Qui ne te craindra pas, ô roi des nations ? »

2. La deuxième raison est : Dieu. Car Dieu est la fin et le gardien de tous nos désirs : « En Dieu mon coeur a espéré, et j'ai été secouru. » Et c'est pourquoi il dit : mon Dieu. - « Un peuple ne doit-il pas consulter son Dieu, [consulte-t-on] les morts au sujet des vivants ? »

Du côté de celui qui prie :

3. La troisième raison est prise du côté de celui qui prie, lorsqu'il dit : Parce qu'à toi j'adresserai ma prière, Seigneur Autrement dit : cela sied puisque tu as promis l'exaucement à ceux qui prient : « Quiconque demande, reçoit, et qui cherche trouve, et à qui frappe, il sera ouvert. » Il n'y a pas de différence entre ce que dit Jérôme : Deprecor (je prie), et ce qui est dit ici : Orabo (Je prierai), car ce verbe désigne la continuité de la prière sans interruption, autrement dit : je prierai, comme j'ai toujours l'habitude de prier, selon l'exhortation du Seigneur : « Il faut toujours prier sans se lasser. »

5 Dès le matin tu entendras ma voix. Dès le matin je me présenterai à toi, et je verrai que tu n'es pas un Dieu voulant l'iniquité. 6 Le méchant n'habitera pas près de toi ; et les injustes ne demeureront pas devant tes yeux.

II. Ici commence la deuxième partie du psaume, dans laquelle le psalmiste montre d'abord la confiance qu'il a d'être exaucé ; ensuite le motif de cette confiance : Dès le matin je me présenterai à toi, etc.

A. Ainsi dit-il : tu entendras ma voix dès le matin, c'est-à-dire au sens littéral, rapidement, comme s'il disait en son temps. En effet nous devons attendre cela de Dieu, puisqu'il exaucera promptement : « À la voix de ton cri, dès qu'il entendra, il te répondra. » Et encore : « Eux parlant encore, j'écouterai. »

B. Il expose le motif de sa confiance lorsqu'il dit : Dès le matin, etc. Il faut noter que le mot matin s'entend de quatre manières : Il signifie le jour naturel : « Il y eut un soir et un matin, premier jour. » Semblablement la vie humaine ; et c'est ainsi que la jeunesse est appelée matin : « Que le matin il fleurisse et passe. » Pareillement le jour de la grâce de la première conversion de l'homme à Dieu, car c'est alors qu'il commença à avoir la lumière de la grâce : « Nous avons été remplis dès le matin de ta miséricorde. » De même l'éternité : « Au soir [c'est-à-dire dans la vie présente] demeureront les pleurs, et au matin [c'est-à-dire dans la vie de l'éternité] la joie. »

Deux raisons sont attribuées à juste titre à cette confiance :

1. D'abord, parce qu'il se présente dès le matin, c'est-à-dire adhère à Dieu, et se prépare à rencontrer Dieu. C'est pourquoi la version iuxta Hebraeos de Jérôme lit : Praeparabor (Je me préparerai). - « Avant la prière, prépare ton âme, et ne sois pas comme un homme qui tente Dieu. »Donc dès le matin du jour, c'est-à-dire aux heures du matin, je me présenterai à toi, c'est-à-dire je me dirigerai vers toi. Et ce, parce qu'à ce moment-là l'homme est libre de soucis, et a davantage le coeur libre pour penser à Dieu : « Je méditerai le matin sur toi. » - « Mais et par mon esprit et dans mon coeur, dès le matin je veillerai pour toi. » Et : tu entendras ma voix, etc. Car Dieu écoute ceux qui s'attachent à lui. Dès le matin, c'est-à-dire de la grâce, les ténèbres de la faute ayant été chassées, je me présenterai et contemplabor (je te contemplerai), selon la version iuxta Hebraeos de Jérôme. « Le juste sera comme la lumière de l'aurore, qui, au soleil levant, le matin, brille sans nuages, et comme l'herbe qui germe de la terre par les pluies. » tu entendras ma voix, c'est-à-dire en me libérant de la faute et du châtiment. Ou bien : Dès le matin, c'est-à-dire au jour de l'éternité : « Où étais-tu lorsque les astres du matin me louaient tous ensemble, et que tous les fils de Dieu étaient transportés de joie ? » Et alors l'homme sera totalement entendu. Ou bien : Dès le matin, c'est-à-dire depuis la jeunesse, je me présenterai à toi. - « Il est bon à l'homme de porter un joug dès sa jeunesse », et : « Souviens-toi de ton Créateur dans les jours de ta jeunesse, avant que vienne le temps de l'affliction, etc. » tu entendras ma voix qui déclare dans les Proverbes : « J'aime ceux qui m'aiment, et ceux qui dès le matin veillent pour me chercher me trouveront. »

2. La seconde raison de sa confiance, c'est qu'il verra ; aussi dit-il : et je verrai. Et il expose en premier lieu comment il se présentera, lorsqu'il dit : mais moi, dans l'abondance. Il dit en premier lieu ce qu'il verra, c'est-à-dire quels sont ceux qui font obstacle à l'écoute, et quels sont ces empêchements. Et ces hommes sont mauvais ; aussi dit-il : je verrai, c'est-à-dire que tu n'es pas un Dieu voulant l'iniquité.

À cet égard il faut noter deux choses :

a) D'abord que les méchants sont écartés.

b) Puis qu'ils sont conduits vers les maux dus à leurs châtiments : Tu hais tous ceux qui opèrent l'iniquité.

a. À propos de l'exclusion des méchants, le psalmiste parle de Dieu comme d'un homme qui aime certains de ses semblables et en hait d'autres. À ce sujet il peut y avoir chez l'homme une triple attitude : d'abord dans le fait que le péché commis par un pécheur plaise à quelqu'un ; ensuite dans le fait que la personne qui pèche plaise à quelqu'un ; enfin ni l'un ni l'autre, mais la personne verra volontiers le pécheur et sans indignation.

Or cette attitude ne se trouve pas en Dieu, car le péché ne plaît pas à Dieu et le pécheur n'entre pas dans sa familiarité. Semblablement il dédaigne de le voir, et c'est pourquoi le psalmiste dit au sujet du péché : je verrai que tu n'es pas un Dieu voulant l'iniquité, c'est-à-dire cela ne te plaît pas.

Ensuite il dit à propos du pécheur : Le méchant n'habitera pas près de toi, c'est-à-dire tu ne le garderas pas dans ta familiarité : « Il n'habitera pas au milieu de ma maison. » Et encore dans ce même psaume : « Je hais l'assemblée des méchants. »

Enfin, quant au fait qu'il dédaigne de les voir, il dit : les injustes ne demeureront pas, c'est-à-dire les pécheurs, devant tes yeux, c'est-à-dire devant ton regard qui ne garde en sa présence que ce qu'il agrée : « Tes yeux sont purs, afin de ne point voir le mal ; tu ne pourras pas regarder l'iniquité. »

7 Tu hais tous ceux qui opèrent l'iniquité, tu perdras ceux qui disent le mensonge. Le Seigneur aura en abomination l'homme sanguinaire et fourbe.

b. Le psalmiste montre ici comment les méchants sont conduits au châtiment, et il expose à ce sujet une triple gradation. En effet on distingue trois degrés dans la manière dont quelqu'un hait son prochain. Il commence par lui porter de la haine, en lui voulant du mal dans son coeur. Ensuite il lui manifeste cette haine en lui infligeant un mauvais traitement. Enfin, tout en le vengeant, il se réconcilie avec lui.

- Mais Dieu, lui, commence par haïr ; c'est pourquoi le psalmiste dit : Tu hais tous ceux qui opèrent l'iniquité, etc. - « Dieu a également en haine l'impie et son impiété. »

Cependant le livre de la Sagesse dit : « Tu aimes tout ce qui est, et tu ne hais rien de tout ce que tu as fait ; car ce n'est pas inspiré par la haine que tu as établi quelque chose, ou que tu l'as fait. »

On répondra à cette objection en disant que Dieu ne hait point ce qu'il a fait, mais bien ce qu'il n'a pas fait, c'est-à-dire le péché. Que si nous nous obstinons avec entêtement à commettre le péché, alors Dieu hait le pécheur dans la mesure où il n'arrive pas à le détourner du péché et il rétablit l'ordre par ses châtiments.

- Ensuite Dieu inflige un châtiment ; et c'est pourquoi le psalmiste dit : Tu perdras [tous] ceux qui disent le mensonge.

- « Une bouche qui ment tue l'âme. » Notons à ce propos qu'il y a trois sortes de mensonge : le mensonge pernicieux, qui nuit à quelqu'un soit spirituellement, soit matériellement, par exemple dans le domaine de la doctrine : et c'est le mensonge le plus grave. Le mensonge joyeux, qui est proféré pour amuser. Le mensonge officieux que l'on profère en vue d'un avantage temporel ou spirituel. Et il faut savoir, selon Augustin, qu'aucun mensonge officieux n'est sans péché, car Si tu mens afin de libérer quelqu'un, ce n'est pas bien : puisque l'Apôtre dit : « Devons-nous faire le mal pour qu'il en arrive du bien ? » Du reste tout mal pourrait être accompli en vue d'un bien ; mais le mensonge officieux peut être quelquefois véniel, tandis que le mensonge joyeux est toujours véniel. Quant au mensonge pernicieux il est toujours mortel. Et c'est à ce mensonge qu'on fait allusion ici.

- Enfin Dieu hait en tant qu'il inflige des châtiments à celui qui ne se réconcilie pas ; aussi le psalmiste ajoute-t-il : Le Seigneur aura en abomination l'homme sanguinaire et fourbe. Nous avons en abomination tout ce que nous ne supportons pas dans notre connaissance. On appelle hommes sanguinaires ceux qui sont enclins par la passion à répandre le sang : « Leurs pieds courent au mal, et ils se hâtent afin de verser le sang. » - « Sors, homme de sang. » Est fourbe celui dont le langage use de fourberie. Par ailleurs, il faut considérer le fait que le psalmiste procède selon un ordre : car il dit d'abord que l'homme pratique le mal tout simplement en pensée ; et Dieu a ces pécheurs en haine. Cependant lorsqu'ils ajoutent la malice en exécutant leurs desseins, alors ils provoquent Dieu à les punir. Mais lorsqu'ils persévèrent, alors Dieu les a en abomination : « C'est une abomination pour le Seigneur que la voie de l'impie. »

8 Mais moi, dans l'abondance de ta miséricorde, j'entrerai dans ta maison, j'adorerai en m'approchant de ton temple saint, pénétré de ta crainte.

C. Ensuite lorsqu'il dit : moi, le psalmiste montre comment il se présente au Seigneur. Et à cet égard il effectue deux choses.

1. Il expose d'abord comment il s'approche de Dieu.

2. Ensuite quelle prière il lui adresse : j'adorerai. Mais on dira alors : toi, tu dis que le méchant n'habitera pas près de toi. Serait-ce que toi, tu n'es pas pécheur ? Comment donc oses-tu te présenter ? Et voilà pourquoi le psalmiste dit : ce n'est pas à cause de mes mérites que j'entrerai dans ta maison, c'est-à-dire que je m'approcherai de toi, mais à cause de l'abondance de ta miséricorde. Le mot temple est pris ici ou bien au sens littéral, ou bien il désigne l'assemblée des fidèles : « Je t'écris ces choses, quoique j'espère aller bientôt te voir, afin que, si je tarde, tu saches comment te conduire dans la maison de Dieu, qui est l'Église du Dieu vivant, la colonne et le fondement de la vérité. » - « Car ce n'est pas en vue de notre justice que, prosternés, nous répandons nos prières devant ta face, mais en vue de tes miséricordes abondantes. »Mais toi, puisque tu es pécheur, c'est-à-dire un homme sanguinaire, comment approches-tu ou adores-tu ? En vérité, pénétré de ta crainte. - « Celui qui est sans crainte ne pourra être justifié » ; c'est pourquoi il dit : Pénétré de ta crainte, c'est-à-dire avec révérence.

9 Seigneur, conduis-moi dans ta justice à cause de mes ennemis ; dirige ma voie en ta présence.

III. Plus haut le psalmiste a demandé que sa prière soit exaucée ; ici il la formule. Et il prie d'abord pour lui, ensuite pour les autres.

A. En priant pour lui,

1) il commence par exposer sa prière,

2) puis il en donne les motifs : Parce que la vérité n'est point, etc.

1. Il demande deux choses : d'être conduit et dirigé. Et pourquoi ? Parce que l'homme en ce monde est comme sur une voie : « Voici la voie, marchez-y. « Or ceux qui marchent sur la voie ont besoin de deux secours. Car si la voie n'est pas sûre, ils ont besoin d'une conduite, ou bien de direction, si elle est douteuse. En ce monde les ennemis sont partout : « Dans cette voie où je marchais, ils m'ont caché un piège. » Semblablement si la voie est inconnue : « Pourquoi la vie a-t-elle été donnée [...] à un homme dont la voie est cachée et que Dieu entoure de ténèbres ? » Et c'est pourquoi il demande d'abord : Seigneur, conduis-moi dans ta justice, selon ta justice, ou bien que je marche dans ta justice, et cela à cause de mes ennemis. - « Ton esprit qui est bon me conduira dans une terre droite ; à cause de ton nom, Seigneur, tu me rendras la vie dans ton équité. »

dirige ma voie en ta présence. Une autre version lit : « Dirige in conspectu meo viam tuam (Dirige ta voie en ma présence). » La première version concorde avec celle de Jérôme, la seconde avec le grec ; mais le sens est cependant le même. Autrement dit : Seigneur, je suis dans une voie cachée : « Il est une voie qui paraît droite à l'homme, mais ses issues conduisent à la mort », et c est pourquoi le psalmiste dit : dirige-moi en ta présence, c'est-à-dire selon ta providence, car rien ne t'est caché. Ou bien : en ta présence, c'est-à-dire pour que je sois toujours agréable. Ou encore : « Ta voie en ma présence », c'est-à-dire qu'elle soit toujours dans mon coeur pour que je puisse toujours te suivre.

10 Parce que la vérité n'est point en leur bouche, leur coeur est vain. 11a Leur gosier est un sépulcre ouvert, avec leurs langues ils agissaient trompeusement.

2. Ensuite lorsque le psalmiste ajoute : Parce que, il assigne le motif de sa demande, et il décrit les ennemis ainsi que le danger imminent.

a) D'abord en raison de l'absence du bien.

b) Ensuite à cause de l'abondance du mal, car leur coeur est vain, etc.

a. Il y a assurément absence de bien, car s'ils conservaient la paix, je pourrais faire la paix avec eux et marcher en sécurité. Mais la vérité n'est [pas dans] leur bouche ; car autre est la vérité qu'ils ont dans leur bouche, et autre est celle qu'ils ont dans leur coeur : « Il n'y a pas de vérité », et c'est pourquoi je ne puis marcher en sécurité.

b. De même, à cause de l'abondance du mal. Et d'abord quant à leur méditation, lorsqu'il dit : leur coeur est vain, c'est-à-dire ils méditent des choses vaines qu'ils ne peuvent atteindre, par exemple tromper les pauvres qui sont sous ta garde : « Nombreux sont les pièges du trompeur. »Ensuite quant à leur avidité, car leur gosier est un sépulcre ouvert, en effet de même qu'un sépulcre est un lieu qui renferme des morts, et qu'il émane de lui une mauvaise odeur, ainsi en est-il de leurs paroles qui mortifient les autres, soit spirituellement, soit matériellement : « Les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs. »

De même leurs paroles répandent de mauvaises odeurs, car ils tiennent des propos répugnants : « Il sort une haleine corrompue de l'estomac gâté. » Dans un sens on peut interpréter ce mot « gosier »en le rapportant à la nourriture et à l'avidité ; et on peut prendre cela ou bien au sens littéral comme suit : Ils sont un sépulcre ouvert, parce qu'ils sont voraces. Et dans le but d'assouvir leur voracité, ils flattent et font le mal. Ou bien au sens figuré : car de même qu'un sépulcre en soi est destiné à recevoir des morts, ainsi ces ennemis sont toujours prêts à tromper : « Son carquois est comme un sépulcre ouvert. »

Enfin quant à leur oppression : avec leurs langues, etc., autrement dit : par leurs paroles séduisantes ils mènent à la mort : « Par de douces paroles et avec flatterie ils séduisent les coeurs innocents. » - « C'est une flèche blessante que leur langue ; elle a proféré la tromperie ; chacun en sa bouche parle de paix avec son ami, et en cachette il lui tend des pièges. » Telle peut être la prière du juste et de l'Église.

11b Juge-les, ô Dieu. 11c Qu'ils soient déçus de leurs pensées ; 11d à cause de la multitude de leurs impiétés, chasse-les, parce qu'ils t'ont irrité, Seigneur.

B. Ensuite lorsque le psalmiste dit : Juge, il prie pour les autres. Et d'abord contre les méchants. Ensuite pour les bons : Mais qu'ils se réjouissent.

En priant contre les méchants, il expose trois choses.

1) Il demande d'abord leur jugement.

2) Puis il précise la procédure de leur jugement : Qu'ils soient déçus, etc.

3) Enfin il donne le motif de ce jugement : parce qu'ils t'ont irrité, Seigneur.

1. Ainsi dit-il : Juge-les, parce qu'ils sont mauvais. Mais il faut noter qu'il y a deux sortes de jugement : un jugement de discernement que subissent même les bons : « Juge-moi, ô Dieu, et discerne ma cause. » Et un jugement de condamnation : « Qui ne croit pas est déjà jugé. »Le psalmiste parle ici du jugement de condamnation que les méchants subiront au jugement dernier. D'où cette version de Jérôme : « Condemna eos Deus (Condamne-les, ô Dieu). »

Mais on objectera ces paroles de Matthieu : « Priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient. »

On répondra en disant que les prophètes dans leur prophétie ne parlaient pas par leur propre volonté : « Car ce n'est pas par la volonté des hommes que la prophétie a jamais été apportée ; mais c'est inspirés par l'Esprit-Saint, qu'ont parlé les saints hommes de Dieu. » Et c'est pourquoi ce qu'ils proféraient, ils le disaient selon l'intelligence de la justice divine. Et c'est ainsi que ces paroles étaient davantage des prédictions portant sur l'avenir que leurs propres prières ; aussi dit-il : Juge, c'est-à-dire je sais que tu jugeras.

2. Il expose ensuite la double procédure du jugement.

a) La première, afin qu'ils renoncent à leur dessein.

b) La deuxième, afin qu'ils soient écartés du lieu saint.

a. La première procédure met un obstacle aux maux qu'ils projettent, et c'est pourquoi il dit : Qu'ils soient déçus de leurs pensées, c'est-à-dire de leurs conseils : « C'est Lui qui surprend les sages dans leur finesse, et dissipe le conseil des pervers. » Ou bien : Qu'ils soient déçus, c'est-à-dire punis à cause de leurs pensées : « Leurs pensées s'accusant et se défendant l'une l'autre. »

b. Mais la seconde procédure les chasse de la compagnie des bons ; d'où ce qui suit : à cause de la multitude, etc. Ce jugement aura lieu lorsque le Seigneur dira : « Allez loin de moi, maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et ses anges. » - « Il le chassera de la lumière dans les ténèbres. » Et il dit : à cause de la multitude de leurs impiétés, car en raison de ces dernières aura lieu la procédure de condamnation : » C'est selon la mesure du péché que sera la mesure des coups. »

3. Le psalmiste expose le motif de ce jugement en disant : parce qu'ils t'ont irrité, c'est-à-dire provoqué à la colère. Ce verbe ne désigne pas en Dieu la colère, mais bien la volonté de punir. Une autre version lit : amancaverunt (ils t'ont rendu amer), toi qui es doux, en péchant avec obstination contre toi. Les pécheurs commencent par pécher, puis ils aggravent leur péché par leur obstination, et alors Dieu ne les épargne pas mais il s'irrite, c'est-à-dire est amené à punir : « Ignores-tu que la bonté de Dieu t'invite à la pénitence ? Cependant, par ta dureté et ton coeur impénitent, tu t'amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres. » - « Eux-mêmes m'ont provoqué par ce qui n'était pas Dieu. »

12 Mais qu'ils se réjouissent tous ceux qui espèrent en toi ; éternellement ils exulteront, et tu habiteras en eux. Et ils se glorifieront en toi, tous ceux qui aiment ton nom.

C. Ensuite lorsqu'il dit : Mais qu'ils se réjouissent, le psalmiste expose sa demande.

1) Et il commence par la formuler.

2) Ensuite il ajoute cette précision : éternellement.

1. En formulant sa demande il expose deux choses :

a. Il expose d'abord l'objet de sa demande, c'est-à-dire la joie ; c'est pourquoi il dit : qu'ils se réjouissent. Telle est en effet la fin de tous les biens : « Que les justes soient comme dans un festin, qu'ils exultent en la présence de Dieu et qu'ils se plaisent dans la joie. »

b. Ensuite, pour qui il demande : pour ceux qui espèrent ; d'où ce qu'il dit : qui espèrent en toi. Par conséquent, quand il dit : éternellement ils exulteront, il l'expose d'abord, et il dit : qu'ils se réjouissent. Puis, qui espèrent, quand il dit : Parce que toi, tu béniras le juste.

2. La joie des saints dans la Patrie est sempiternelle, et c'est pourquoi il dit : éternellement ; et elle est sûre, aussi il ajoute : et tu habiteras en eux ; elle est plénière, en raison de ce qu'il mentionne ensuite : Et ils [seront glorifiés].

Cette joie est en vérité sempiternelle, non temporelle : » Une allégresse éternelle couronnera leurs têtes, ils posséderont la joie et l'allégresse ; la douleur fuira ainsi que le gémissement. »

Elle est sûre, sans trouble : « Mon peuple se reposera dans la beauté de la paix, et dans les tentes de la confiance » ; et c'est pourquoi il dit : tu habiteras en eux, comme leur protecteur. D'où cette version de Jérôme : « Et proteges eos (Et tu les protégeras). » - » Voici le tabernacle de Dieu parmi les hommes, et il habitera avec eux. »

Cette joie est aussi plénière. Et cette plénitude se manifeste de quatre manières.

a. D'abord par la gloire qui en découle ; d'où ce qu'il dit : ils [seront glorifiés] », car on ne se glorifie de quelque chose que dans la mesure où on la possède excellemment. Or les saints possèdent Dieu de la manière la plus excellente qui soit ; c'est pourquoi le psalmiste dit : ils [seront glorifiés].

b. Ensuite par la matière, car ils sont glorifiés au sujet d'un bien souverain, et à propos de tout bien : « Jusqu'ici vous n'avez rien demandé en mon nom : Demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit complète. » - « Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie soit en vous. »

c. Puis par la compagnie, car l'homme seul ne peut jouir avec satisfaction d'un bien, mais lorsqu'il a à ses côtés des amis qui prennent part à ce bien ; et c'est pourquoi il dit : tous. - « Ainsi tous ceux qui se réjouissent trouvent leur demeure en toi. »

d. Enfin par la perfection : qui aiment. Car il appartient à des amis de se réjouir du bien d'un ami, et l'homme ne délaisse pas facilement ce qu'il aime.

13 Parce que toi, tu béniras le juste. Seigneur, tu nous as couronnés de ta bonne volonté comme avec un bouclier.

D. Lorsque le psalmiste dit ensuite : Parce que, il montre pourquoi ils espèrent.

1) D'abord à cause du don de la grâce.

2) Ensuite à cause de sa miséricordieuse prédestination, etc.

1. À cause du don de la grâce ; aussi dit-il : Parce que toi, tu [as béni] le juste, c'est-à-dire en lui donnant une grâce particulière : « Il nous a bénis de toute bénédiction spirituelle aux cieux. »

2. Et à cause de sa miséricordieuse prédestination : « Nous avons été prédestinés selon le dessein de sa volonté, qui opère toutes choses en tous. » Et c'est ce qu'il dit : « avec le bouclier de ta bonne volonté », c'est-à-dire par la volonté éternelle de sa miséricorde, qui de toute éternité a préparé le salut : « Il nous a choisis avant la création du monde, afin que nous soyons saints et immaculés. » Et lorsqu'il dit : comme avec un bouclier, il précise que la volonté même de Dieu est bonne comme un bouclier qui protège contre tous les maux : « Le Seigneur est mon rocher, et ma force, et mon Sauveur. Dieu est mon fort, j'espérerai en lui ; il est mon bouclier, la corne de mon salut ; c'est lui qui m'élève, et qui est mon refuge. » Ou bien le Seigneur est ici-bas comme un bouclier protecteur, mais dans la Patrie il est un bouclier qui couronne. Ce fut en effet un usage chez les Romains de l'Antiquité d'utiliser des boucliers ronds, et ils mettaient en ceux-ci l'espoir de la victoire ; et lorsqu'ils triomphaient, ils se servaient de ce même bouclier comme d'une couronne. Et de là vient que les saints sont représentés dans la peinture avec un bouclier rond sur la tête, car, ayant remportés la victoire sur leurs ennemis, ils portent comme les Romains un bouclier rond sur la tête, qui leur tient lieu de couronne. Ainsi le psalmiste dit-il : tu nous as couronnés de ta bonne volonté comme avec un bouclier, autrement dit : pour bouclier de notre couronnement nous avons ta bonne volonté, qui nous défend ici-bas, et qui nous couronne dans la Patrie.


Éditions du Cerf

Previous PageTop Of PageNext Page