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COMMENTAIRE DU PSAUME 6

1 Pour la fin, Psaumes de David pour l'octave.

2 Seigneur, ne me reprends pas dans ta fureur, et ne me corrige pas dans ta colère.

3 Aie pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme. Guéris-moi, Seigneur, parce que mes os sont ébranlés. 4 Et mon âme est troublée à l'excès ; mais toi, Seigneur, jusques à quand ?

5 Reviens, Seigneur, délivre mon âme ; sauve-moi à cause de ta miséricorde

6 Parce que nul dans la mort ne se souvient de toi : et dans l'enfer qui te confessera ?

7 J'ai peiné dans mon gémissement, je laverai chaque nuit mon lit ; j'arroserai ma couche de mes larmes.

8 Mon oeil a été troublé par la fureur ; j'ai vieilli au milieu de tous mes ennemis.

9 Retirez-vous de moi vous tous qui pratiquez l'iniquité, parce que le Seigneur a exaucé la voix de mes pleurs. 10 Le Seigneur a exaucé ma déprécation, le Seigneur a accueilli ma prière.

11 Qu'ils rougissent et qu'ils soient remplis de trouble tous mes ennemis ; qu'ils se retournent et qu'ils rougissent très promptement.

Au psaume 5, David a demandé d'être amené sur la voie de la justice à cause de ses ennemis ; mais ici il demande que sa chute soit réparée. Et ce psaume semble exprimer les sentiments de l'homme qui, châtié pour ses péchés et livré aux mains de ses ennemis, obtint sa libération après avoir accompli une pénitence ; et c'est pourquoi ce psaume 6 est le premier des sept psaumes pénitentiels. Ils sont sept en raison des sept dons du Saint-Esprit, grâce auquel l'homme fait pénitence. Et tous commencent par l'affliction et se terminent dans la joie ; car c'est par l'affliction de la pénitence que l'on parvient au Royaume de la gloire : «Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. »

1 Pour la fin, Psaumes de David pour l'octave.

Son titre est : Pour la fin, Psaumes de David pour l'octave. Ce que Jérôme traduit par : « Victori in Psalmis super octava canticum David (À David vainqueur en Psaumes, cantique pour l'octave). » À propos de ce titre, les autres mots ayant été expliqués, il reste à voir pourquoi il a voulu que ce psaume soit dit pour l'octave. Or il faut savoir que les titres ont été composés par Esdras, en partie suivant des faits dont il s'agissait alors, et en partie selon les faits auxquels ils se rapportaient. Ainsi on rapporte dans l'histoire du livre du Lévitique qu'au septième mois les Juifs célébraient la fête des Tentes durant sept jours, et que le huitième jour était de tous le plus solennel. Car c'était le jour de la réunion et de l'assemblée, qui se tenaient pour satisfaire au culte divin et à l'intention des pauvres. Et il est probable que David composa ce psaume à l'occasion de cette solennité, et qu'il était dit le huitième jour. Or cette fête a une signification cachée (mysterium) ; car par le nombre huit est signifiée la résurrection, c'est-à-dire ce temps où tous les élus seront rassemblés des quatre points de l'horizon, de l'extrémité de la terre à l'extrémité du ciel. Ou bien on dit octave à cause de la fausse opinion de ceux qui affirmaient qu'au terme de sept mille ans aurait lieu la résurrection future, le Seigneur venant pour le jugement dernier. Mais personne n'a connaissance de ce temps : « Ce n'est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a réservés en sa puissance. » - « Quant à ce jour-là et à cette heure-là, nul n'en sait rien, pas même les anges des cieux ; il n'y a que le Père qui le sache, Lui seul. »

C'est pourquoi il y a une autre raison qui explique pourquoi par octave est désignée la résurrection. C'est que dans le monde présent il y a deux sortes de vie. L'une dans laquelle l'homme s'adonne aux choses temporelles, l'autre aux réalités spirituelles.

La première vie est signifiée par le nombre quatre, parce que c'est le nombre des corps, comme le dit aussi Platon, car par ce nombre même sont signifiées les dimensions. Or dans les corps solides le premier nombre matériel est une pyramide, comme l'enseigne Boèce dans son Arithmétique. C'est pourquoi, étant donné que cette pyramide est première, qu'un triangle depuis la base s'élève vers le haut, il s'ensuit que quatre est le premier nombre d'un corps solide. Ainsi donc, si en vertu de ce qu'il dit, le triangle ayant été établi, on élève des lignes à partir des trois angles et que leurs extrémités se rejoignent en un point central, on obtient une pyramide ; pyramide dont la base est un triangle, et les côtés de véritables triangles.

Mais la seconde vie, celle qui est spirituelle, est signifiée par le nombre trois. Car dans les figures planes, trois est le premier nombre superficiel (relatif aux surfaces). Et tel est ce que Boèce dit dans ce même ouvrage. En effet la base de la pyramide est d'abord constituée d'une surface triangulaire sans aucune épaisseur. Au nombre sept, qui s'obtient par l'addition des nombres quatre et trois, succède le nombre huit, c'est-à-dire la résurrection des corps et des âmes. Mais dans la Glose on trouve une autre explication selon laquelle on affirme que le nombre quatre est en affinité avec le corps, parce qu'il est fait de quatre éléments, et doué de quatre qualités : la sécheresse et l'humidité, la chaleur et la froidure ; et ces quatre qualités lui sont assurées aux quatre saisons : au printemps, en été, en automne, et en hiver. Mais le nombre trois est en affinité avec l'âme à cause de ses trois facultés : le rationnel, l'irascible et le concupiscible. Or ces deux vies achevées, c'est-à-dire la vie corporelle et spirituelle, le nombre sept ayant été atteint, vient le jour du jugement et justice est rendue à chacun selon ses mérites.

Ou bien, par octave est signifiée la résurrection, parce qu'elle aura lieu au huitième âge. Car le premier âge va d'Adam jusqu'à Noé. Le deuxième de Noé jusqu'à Abraham. Le troisième d'Abraham jusqu'à David. Le quatrième de David jusqu'à la déportation à Babylone. Le cinquième de la déportation à Babylone jusqu'au Christ. Le sixième du Christ jusqu'à la fin du monde. Le sixième et le septième âge vont de pair, car c'est l'âge de ceux qui se reposent et de ceux qui travaillent ; et au terme de ces derniers aura lieu le huitième âge des ressuscités.

Ce psaume se divise en trois parties.

I) Il est d'abord question de la pénitence.

Il) Puis du gémissement de la pénitence : J'ai peiné, etc.

III) Enfin de leur fruit respectif : Retirez-vous, etc.

I. Mais l'homme qui est en état de péché souffre de trois maux dont il demande d'être libéré. Le premier mal est la perversité de son action ; le deuxième est la blessure de la nature et sa faiblesse ; le troisième est la culpabilité due à un châtiment imminent.

A) Le psalmiste demande donc d'être libéré du premier mal, et c'est pourquoi il dit : Seigneur, ne me reprends pas dans ta fureur, etc.

B) Ensuite du deuxième, et c'est pourquoi il ajoute en priant : Aie pitié de moi, etc.

C) Enfin du troisième, et c'est pourquoi il ajoute : mais toi, Seigneur, etc.

2 Seigneur, ne me reprends pas dans ta fureur, et ne me corrige pas dans ta colère.

A. Ainsi le psalmiste dit : Seigneur, ne me reprends pas dans ta fureur. On affranchit quelqu'un de ses actions mauvaises en le reprenant en paroles, et en le corrigeant par des punitions. Or Dieu fait l'un et l'autre. Mais il reprend parfois pour corriger, et c'est le propre de sa miséricorde : « Le juste me reprendra dans sa miséricorde, et il me corrigera ; mais l'huile du pécheur ne parfumera pas ma tête. » Parfois pour condamner, et cela relève de sa colère. Et c'est pourquoi il dit : Seigneur, reprends-moi, mais non dans ta fureur, car c'est le propre de la vengeance, et cela s'accomplira au jugement, lorsqu'il dira : « Retirez-vous loin de moi maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et ses anges ; car j'ai eu faim, et vous ne m'avez point donné à manger, etc. » - « Ardente est sa fureur et lourde à porter ; ses lèvres sont pleines d'indignation, sa langue est comme un feu dévorant. » C'est ainsi qu'il reprend, mais non dans la fureur ; car il reprend afin de corriger, et non pour condamner. Et ce dernier demande cette correction lorsqu'il dit : ne me [châtie] pas dans ta colère, autrement dit : corrige-moi, cependant point dans la colère ou dans la fureur, mais par des châtiments temporels : « Ici-bas brûle, ici-bas retranche, ici-bas n'épargne guère, afin d'épargner pour l'éternité. » - « Corrige-moi, mais cependant dans ta justice. »

3 Aie pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme. Guéris-moi, parce que mes os sont ébranlés. 4 Et mon âme est troublée à l'excès ; mais toi, Seigneur, jusques à quand ? 5 Reviens, Seigneur, délivre mon âme ; sauve-moi à cause de ta miséricorde.

B. Ensuite lorsqu'il dit : Aie pitié, il demande d'être libéré du deuxième mal, c'est-à-dire de la blessure de la nature et de sa faiblesse. Et le psalmiste commence par exposer son infirmité en général ; puis en particulier : Guéris-moi, etc.

Ainsi dit-il : Aie pitié de moi, Seigneur, parce que je suis infirme. Le péché est une infirmité spirituelle. De même que l'infirmité corporelle se produit à la suite de la rupture du fonctionnement harmonieux des humeurs, ainsi lorsque les passions de l'âme ne conservent plus un rapport raisonnable entre elles, il y a maladie spirituelle ; et c'est pourquoi il dit : je suis infirme. - « Je suis infirme par nature et par vice, dit la Glose, si bien que je ne puis souffrir ta justice. » - « Moi je suis ton serviteur, et le fils de ta servante. » - « Je suis un homme faible et de vie éphémère, peu apte à comprendre la justice et les lois. »

Ensuite lorsqu'il dit : Guéris-moi, etc., il expose d'une manière précise en quoi consiste son infirmité, et cela doublement.

1) D'abord, parce qu'il a perdu sa force.

2) Ensuite, parce qu'il a perdu le discernement : Et mon âme est troublée, etc.

1. Ainsi dit-il : Guéris-moi, Seigneur. - « Guéris-moi, Seigneur, et je serai guéri. » Car si l'homme est affranchi du péché, il est capable de conserver la grâce et les vertus, qui sont la force de l'homme ; et c'est pourquoi le psalmiste dit : Guéris-moi, Seigneur. Et je fais cette prière parce que mes os, c'est-à-dire ma force, à savoir la puissance et la force de mon âme, sont ébranlés.

2. De même le discernement est troublé, dans la mesure où le pécheur croit agir avec droiture lorsqu'il pèche ; et c'est pourquoi le psalmiste dit : Et mon âme est troublée à l'excès, car elle a un jugement mauvais sur ses actes, c'est-à-dire qu'elle juge bon ce qui est mal, et réciproquement.

C. Ensuite quand il dit : mais toi, Seigneur, il prie afin de se préserver du péché qui entraîne la damnation. À cet égard il expose trois choses.

1) En effet il montre d'abord l'imminence du danger.

2) Ensuite il demande le secours de la grâce : Reviens.

3) Enfin il explicite ce danger imminent : Parce que nul dans la mort, etc.

1. Ainsi dit-il : je suis infirme, je ne puis me lever par moi-même, mais toi, Seigneur, qui le peux, jusques à quand ne m'exauceras-tu pas ? - « Jusques à quand, Seigneur, m'oublieras-tu pour toujours ? » Ce qui lui semblerait dangereux, c'était le fait de n'être pas converti : « Ne tarde pas à te convertir au Seigneur, et ne diffère pas de jour en jour ; car subitement viendra sa colère, et au temps de la vengeance il te perdra entièrement. » - « Jusques à quand, Seigneur, crierai-je sans que tu m'exauces, jusques à quand élèverai-je ma voix avec force vers toi, souffrant violence, sans que tu me sauves ? » comme s'il disait : aussi longtemps que je serai dans le péché, ne m'accorderas-tu pas ton secours afin que je ressuscite ?

2. Et c'est pourquoi il demande son secours en disant : Reviens, etc. Et il traite de trois choses : de la conversion, de la libération, et du salut.

a. De la conversion :

L'oeil de l'homme n'est éclairé par le soleil que s'il se trouve dans la direction opposée à celui-ci ; de même l'âme, si elle doit recevoir la lumière divine, doit se mettre directement sous le regard de Dieu, et de cette manière le regard droit est toujours disposé par Dieu ; mais l'homme se détourne, et il faut que Dieu le convertisse, dans la mesure où il se tourne d'abord vers nous en nous convertissant à lui ; et c'est pourquoi le psalmiste dit : Reviens. - « Convertis-nous à toi, Seigneur, et nous serons convertis ; renouvelle nos jours comme au commencement. »

b. De la libération :

Quand un prisonnier est conduit à la potence, et qu'il aperçoit un confident, il le supplie avec attention et lui dit : délivre-moi. C'est de cette manière que le psalmiste prie en disant : délivre mon âme, autrement dit : délivre-moi, moi qui suis entraîné par le péché, conduit à la mort : « Arrache ceux qui sont conduits à la mort. » - « Retire-moi de la fange, afin que je n'y demeure pas enfoncé. Délivre-moi de ceux qui me haïssent, et du fond des eaux » - « Il nous a arrachés à la puissance des ténèbres. »

c. Du salut :

De même : sauve-moi. Après m'avoir libéré des maux, conduis-moi vers le salut : « En [lui] est mon salut » ; et cela non par mes mérites, mais à cause de ta miséricorde. - « Ce n'est point par les oeuvres de justice que nous avons faites qu'il nous a sauvés, mais selon sa miséricorde. »

6 Parce que nul dans la mort ne se souvient de toi : et dans l'enfer qui te confessera ?

3. Puis lorsqu'il dit : Parce que, il montre l'imminence du danger.

a) Et d'abord le danger de la mort présente, c'est-à-dire naturelle.

b) Ensuite celui de la damnation éternelle, qui est irréversible.

a. L'imminence du danger de la mort présente : Parce que nul dans la mort, c'est-à-dire après la mort, ne se souvient de toi, c'est-à-dire en pensant à ta bonté, s'il ne s'est pas souvenu d'elle pendant cette vie. Et cela, parce que l'âme raisonnable ne peut plus modifier son jugement après la mort : « Si l'arbre tombe au midi ou à l'aquilon, en quelque lieu qu'il tombe, il y sera. »

b. L'imminence du second danger : en enfer on ne rencontre qu'obstination, et il n'y a point là de confession, c'est-à-dire celle dont l'Apôtre dit : « On confesse de bouche pour le salut » ; c'est pourquoi le psalmiste dit : et dans l'enfer qui te confessera ? Ou bien selon une autre interprétation : dans la mort, c'est-à-dire du péché, qui se souvient de toi ?, autrement dit : je t'en supplie, délivre mon âme afin que je ne consente pas, parce que dans mon péché je ne me souviendrai pas de toi : « Ils détourneront leurs yeux afin de ne pas voir le ciel, et de ne pas se souvenir des justes jugements. » et dans l'enfer, c'est-à-dire dans l'abîme des péchés, qui te confessera ? - « L'impie, lorsqu'il est parvenu dans l'abîme des péchés, devient méprisant. »

7 J'ai peiné dans mon gémissement, je laverai chaque nuit mon lit ; j'arroserai ma couche de mes larmes.

II. Ensuite lorsqu'il dit : J'ai peiné, il expose le gémissement de celui qui fait pénitence. À ce propos il semble parler de trois choses.

A) D'abord de la tristesse du coeur.

B) Puis de l'affaiblissement de la raison : a été troublé.

C) Enfin de la faiblesse de la force : j'ai vieilli.

A. La tristesse du coeur est indiquée de trois manières.

1) D'abord par le gémissement et les soupirs.

2) Ensuite par l'inquiétude du corps.

3) Enfin par les larmes.

1. À propos du gémissement et des soupirs il dit : J'ai peiné dans mon gémissement, c'est-à-dire en soupirant : « Mes gémissements sont nombreux et mon coeur est triste. » - « Je rugissais dans le gémissement de mon coeur. » Et il dit : J'ai peiné (laboravi), car lutter contre soi est un labeur, mais ce labeur produit un bon fruit : « Le fruit des bons labeurs est glorieux. »

2. Quart à l'inquiétude du corps il dit : je laverai. Il expose ici deux choses : le lit et la couche ; et bien que ces deux mots aient une même acception, cependant nous cherchons à savoir en quoi ils se distinguent l'un de l'autre. Sont appelés couche (stratum) les draps qui sont étendus sur un lit. Mais on appelle lit (lectum) ce qui est placé au-dessous, et ce mot est dénommé lit (lectum) à cause de l'assemblage (ab eligendo), c'est-à-dire des pailles et autres choses du même genre, dont est fait un lit. En disant donc : je laverai chaque nuit mon lit, le psalmiste laisse entendre qu'il se levait chaque nuit, et pleurait appuyé contre son lit. La version iuxta Hebraeos de Jérôme lit : « Natare faciam lectum meum (je ferai baigner mon lit) », et il s'agit d'une expression parabolique. Ou bien : « Je ferai baigner », c'est-à-dire je l'associerai à mon inquiétude à la manière d'un nageur.

3. Et il dit : j'arroserai ma couche de mes larmes, parce que même étendu sur son lit il inondait les draps de sa couche en pleurant, comme s'il répandait un ruisseau de larmes.

Au sens moral, le lit sur lequel l'homme se repose, c'est la conscience ; c'est elle que l'homme purifie par les larmes dans la pénitence : « Purifie ton coeur de sa malice. » Mais par le mot couche sont signifiés les péchés qui couvrent la conscience ; péchés qui doivent être purifiés par les larmes, car les larmes lavent le péché qu'il est honteux d'avouer : « Mes yeux ont défailli à force de larmes. » chaque nuit, dit-il, c'est-à-dire chaque péché. Car l'homme doit pleurer chaque péché en faisant pénitence. Et par là il laisse entendre que celui qui s'adonne à la pénitence répare alternativement ses péchés ; car parmi le bien qu'il faisait, il péchait parfois, et pleurait chacun de ses péchés. C'est pourquoi il ne dit pas une (unam), mais chaque (singulas) nuit. Et il dit : j'arroserai, à cause du flot des larmes : « Qui donnera à ma tête de l'eau, et à mes yeux une fontaine de larmes ? » - « Fais couler comme un torrent mes larmes pendant le jour et pendant la nuit ; ne te donne pas de repos, et que la prunelle de ton oeil ne se taise pas. »

8 Mon oeil a été troublé par la fureur ; j'ai vieilli au milieu de tous mes ennemis.

B. Ensuite lorsqu'il dit : troublé, le psalmiste expose l'affaiblissement de la raison. Car la tristesse est une cause de la colère  ; et c'est pourquoi celui qui est triste se met facilement en colère. Mais la colère trouble toujours l'oeil de la raison. Et ceux qui sont troublés ont moins de prévoyance, aussi dit-il : Mon oeil a été troublé, c'est-à-dire ma raison, mais à cause de la fureur des autres ; en effet David s'était mis en colère et avait été troublé, lorsqu'il vit son fils Absalom et ses conseillers se dresser contre lui. Ou bien, à cause de sa fureur, car il avait été troublé en raison de ses propres péchés. Car il reconnaissait dans la situation de cette persécution, qu'il était justement maltraité à cause de ses péchés ; et cette colère n'aveugle pas, mais trouble. Tandis que l'autre colère aveugle. Ou bien, à cause de ta fureur, Seigneur Dieu, avec laquelle tu me punis, comme si tu avais été provoqué par moi, car je t'ai troublé : « Mes yeux se sont lassés de regarder en haut. » - « Mon visage s'est enflé par mes pleurs, et mes paupières se sont obscurcies. »

C. Enfin il montre la faiblesse de sa force quand il dit : j'ai vieilli, etc. Lorsqu'un homme fut victorieux et fort dans sa jeunesse, et que par la suite il souffre non seulement de la part d'un étranger, mais aussi de la part des siens, on le regarde comme devenu vieux. Ainsi David qui, au cours de sa jeunesse ayant vaincu tous ses ennemis, fuyait à présent son propre fils, dit : j'ai vieilli, c'est-à-dire selon la considération d'autrui, au milieu de tous mes ennemis, c'est-à-dire déclarés et cachés : « Or ce qui devient ancien et vieilli est près de sa fin. » Ou bien, le pécheur a vieilli en s'éloignant de la nouveauté du Christ à propos de laquelle l'Apôtre dit : « Que nous marchions dans une nouveauté de vie. »

Et encore : « Afin que nous servions dans la nouveauté de l'esprit. » Selon la Glose : « Nous accomplissons le service des oeuvres du nouvel homme, c'est-à-dire du Christ, oeuvres auxquelles nous nous appliquons non pas par nos propres forces ou par la loi, mais par la grâce de l'Esprit-Saint. » - « Sachant que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché soit détruit, et que nous ne soyons plus esclaves du péché. » Par cet esclavage l'homme est amené au vieillissement dû au péché, et devient membre du vieil homme ; c'est pourquoi l'Apôtre avertit et convainc : « Réformez-vous par le renouvellement de votre sentiment », ou de votre esprit. Réformez-vous, dit la Glose, vous qui avez été déformés en Adam, parce que l'image de Dieu a été en partie perdue en lui, réformez-vous par le renouvellement, en imitant le nouvel homme, c'est-à-dire le Christ. Le prophète Baruch déplore ce vieillissement et la misère de cette dégradation en disant sous forme d'interrogation : « D'où vient, Israël, que tu es dans la terre de tes ennemis ? Tu as vieilli dans une terre étrangère, tu t'es souillé avec les morts ; tu es devenu semblable à ceux qui descendent dans l'enfer. « Et cela concorde avec ce qui est dit ici : j'ai vieilli au milieu de tous mes ennemis, soit les démons, soit tous les péchés auxquels j'ai consenti ; et ainsi : j'ai vieilli désigne selon ce sens la matière du gémissement, autrement dit : je laverai, etc., parce que j'ai vieilli en imitant le vieil homme, en me livrant à tous les vices. Et alors ce qu'il a dit : Mon oeil a été troublé, etc., se rapporte à la condition de celui qui fait pénitence. Ou bien on peut rapporter ces mots à la matière de la justice, et cela regarde la condition du péché, autrement dit : j'ai vieilli, c'est-à-dire j'ai péché, car mon oeil, c'est-à-dire ma chair, a été troublée par la fureur, c'est-à-dire par le mouvement violent de la passion : « Un feu est tombé d'en haut », c'est-à-dire le feu de la concupiscence, selon une Glose d'Augustin, « et ils n'ont pas vu le soleil », c'est-à-dire le soleil de justice : « La concupiscence a perverti ton coeur. » Et encore : « Ils brûlèrent de concupiscence pour Suzanne ; et leur sens fut perverti, et ils détournèrent leurs yeux afin de ne pas voir le ciel, et de ne pas se souvenir des justes jugements. » Or David dit que sous le mouvement violent de la concupiscence l'oeil de sa raison fut si fortement troublé qu'il ne vit pas le ciel ; et ce fut à cause de sa concupiscence pour Bethsabée qu'il la connut en l'appelant auprès de lui. Et après avoir appris qu'elle était enceinte, il ajouta le crime de l'homicide à celui de l'adultère. C'est pourquoi il ordonna traîtreusement que l'époux de Bethsabée soit tué. C'est à cause de ces péchés très graves que par un juste jugement de Dieu il souffrit la persécution de la part de son propre fils.

9 Retirez-vous de moi vous tous qui pratiquez l'iniquité, parce que le Seigneur a exaucé la voix de mes pleurs. 10 Le Seigneur a exaucé ma déprécation, le Seigneur a accueilli ma prière.

III. Ici commence la troisième partie principale du psaume, dans laquelle est exposé le fruit de la pénitence ; aussi le psalmiste montre-t-il ici qu'il a été exaucé, et ensuite en témoigne sa reconnaissance. Et à ce propos il effectue trois choses :

A) Car il commence par repousser ses ennemis loin de lui.

B) Ensuite il confesse qu'il a été exaucé : parce qu'il m'a exaucé.

C) Enfin il annonce le sort de ses ennemis : 11 Qu'ils rougissent.

A. Ainsi le psalmiste dit : Retirez-vous, etc. Ces mots nous font comprendre qu'après s'être affligé à cause du péché, on peut à la suite du don de l'indulgence « insulter » ses ennemis, ou ceux qui nous portent au péché, ou encore ceux qui nous persécutent physiquement. Au sens littéral, Jérôme dit : « Retirez-vous de moi », vous qui me portez au péché, car je ne veux pas de votre compagnie. Et l'Apôtre écrit : « C'est pourquoi séparez-vous, dit le Seigneur, et ne touchez point à ce qui est impur, et moi je vous recevrai. » Ou bien : Retirez-vous de moi vous tous qui pratiquez l'iniquité, c'est-à-dire vous qui êtes de mauvais artisans en me persécutant injustement. Retirez-vous, dis-je, de moi, car « le Seigneur est avec moi comme un guerrier vaillant ». D'où ces paroles du psalmiste : « Si des camps s'établissent contre moi, mon coeur ne craindra pas. » Et dans ce verset, Retirez-vous de moi, etc., est préfigurée la persécution future et la séparation des méchants et des bons : « Ils sépareront les méchants du milieu des justes. » Et encore dans le même évangile : « Il les séparera les uns d'avec les autres, comme le pasteur sépare les brebis d'avec les boucs. » Et plus loin dans le même chapitre : « Retirez-vous loin de moi maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le diable ainsi que pour ses anges. »

B. Ensuite lorsqu'il dit : parce qu'i[l m']a exaucé, il confesse qu'il a été exaucé. On remarquera ici que le psalmiste a parlé plus haut de trois choses : de la prière, en disant : Aie pitié ; ensuite de la déprécation en vue d'être libéré : Reviens ; enfin de l'affliction : J'ai peiné, etc. Et il dit ici que ces trois implorations ont été exaucées, mais dans un ordre différent.

Et d'abord le gémissement, en disant : le Seigneur a exaucé la voix de mes pleurs. Le gémissement des saints se fait entendre auprès de Dieu : « Il ne méprisera pas les prières de l'orphelin, ni la veuve, si elle épanche son gémissement. Est-ce que les larmes de la veuve ne descendent pas sur la joue, et son cri sur celui qui les fait couler ? » Car de la joue les larmes montent jusqu'au ciel, et le Seigneur qui exauce sera manifesté en elles. Aussi est-il écrit dans la Genèse : « La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi. » Voilà pourquoi Judith, cette sainte femme, disait : « Réclamons son indulgence avec des larmes. »

Ensuite la déprécation : car celle-ci se pratique, selon la Glose de Cassiodore, en vue de l'éloignement des maux : « Ta déprécation a été exaucée. » La Glose dit : « Déprécation par laquelle tu sollicitas la libération du peuple. » Donc afin de montrer qu'il a été libéré des maux contre lesquels il priait en disant : Reviens, etc., il ajoute ici : Le Seigneur a exaucé ma déprécation.

Enfin la prière, c'est-à-dire afin d'entrer en sa présence ; et tel est ce qu'il ajoute : le Seigneur a accueilli ma prière. Et notez que le psalmiste met ici trois fois le mot Seigneur, afin de montrer qu'il a été exaucé par la Trinité tout entière : « Qu'il nous bénisse, Dieu, notre Dieu, qu'il nous bénisse, Dieu. »

11 Qu'ils rougissent et qu'ils soient remplis de trouble tous mes ennemis ; qu'ils se retournent et qu'ils rougissent très promptement.

C. Enfin lorsqu'il dit : Qu'ils rougissent, le psalmiste expose le sort des ennemis, comme s'il était dit : Toi, tu dis à tes ennemis : « Retirez-vous ». Mais qu'arrivera-t-il à ceux qui s'éloignent de toi ? Assurément qu'ils rougissent, etc. Ces paroles peuvent être interprétées en bien ou en mal.

Si c'est en bien, alors elles sont dites sous forme de prière. Et à cet égard il demande quatre choses à leur intention :

1. La honte de leurs péchés, car tel est le principe de la correction de la vie : « Il y a une confusion qui amène à la gloire. » Aussi dit-il : Qu'ils rougissent.

2. Puis la douleur des péchés : qu'ils soient remplis de trouble. - « Tu as ébranlé la terre et tu l'as bouleversée ; répare ses brisures, parce qu'elle a été ébranlée. » En effet celui qui fait pénitence doit éprouver la véhémence de la douleur plus qu'il n'a goûté la délectation dans le péché.

3. Ensuite la conversion à Dieu ; aussi dit-il : qu'ils se retournent. - « Convertissez-vous à celui dont vous vous êtes radicalement séparés, fils d'Israël. »

4. Et enfin la honte : Qu'ils rougissent, et qu'ils soient remplis de trouble, etc. La honte est donc le début et la fin de la correction. Mais on peut donner une autre explication. À savoir qu'au principe de son iniquité le pécheur fait rougir les yeux des hommes, et que, souffrant de cela, il évite le mal ; mais qu'à la fin il fait rougir l'oeil de la raison et celui de Dieu. À propos de la honte initiale, l'Apôtre dit : « Quel fruit avez-vous donc tiré alors de ces choses dont vous rougissez maintenant ? » Au sujet de la honte salutaire, Luc dit : « Le publicain, se tenant éloigné, n'osait même pas lever les yeux au ciel. » Et cette conversion doit se faire très promptement, c'est-à-dire sans tarder : « Ne tarde pas à te convertir au Seigneur, et ne diffère pas de jour en jour ; car subitement viendra sa colère, et au temps de la vengeance il te perdra entièrement. »

Mais si c'est en mal, alors ces paroles doivent être comprises comme un avertissement, autrement dit : Qu'ils rougissent à cause du dévoilement de leur péché devant tous : « Vous rougirez des jardins que vous aviez choisis, lorsque vous serez comme un chêne dont les feuilles tombent et comme un jardin sans eau » ; et qu'ils soient remplis de trouble, c'est-à-dire de crainte et de tristesse mêlée de stupeur : « Ils seront troublés par une crainte horrible. » Et c'est pourquoi il dit : qu'ils soient remplis de trouble tous mes ennemis, en reconnaissant leur propre faute et la gloire des saints : « Voici ceux que nous avons eus autrefois en dérision, et que nous donnions pour exemple de personnes dignes d'opprobre. Insensés que nous étions ! » et qu'ils rougissent, car cette reconnaissance sera pour eux un objet de confusion ; et cela très promptement. - « Cette iniquité sera pour vous comme une brèche qui menace ruine, et qui est recherchée dans un mur élevé, parce que tout à coup, tandis qu'on ne s'y attend pas, vient son écroulement. » - « En un moment ils descendent dans les enfers. » - « Le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit. Car lorsqu'ils diront paix et sécurité, alors même viendra sur eux une ruine soudaine, comme la douleur sur une femme enceinte, et ils n'échapperont pas. »


Éditions du Cerf

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