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COMMENTAIRE DU PSAUME 32

Pour la fin Psaume de David.

1 Justes, exultez dans le Seigneur. Aux [coeurs) droits convient la louange.

2 Louez le Seigneur sur la cithare : jouez pour lui du psaltérion à dix cordes.

3 Chantez-lui un cantique nouveau ; psalmodiez bien en son honneur avec des cris de joie.

4 Parce que la parole du Seigneur est droite et toutes ses oeuvres sont selon sa fidélité 5 Il aime la miséricorde et la justice : la terre est remplie de la miséricorde du Seigneur.

6 Les cieux ont été affermis par la parole du Seigneur, et toute leur puissance par le souffle de sa bouche.

7 Il rassemble comme dans une outre les eaux de la mer : il renferme comme dans des trésors les abîmes.

6 Que toute la terre craigne le Seigneur : qu'à sa présence aussi soient émus tous ceux qui habitent l'univers.

9 Car il a dit, et les choses ont été faites : il a commandé, et elles ont été créées.

10 Le Seigneur dissipe les conseils des nations : il réprouve aussi les pensées des peuples, et il réprouve les conseils des princes.

11 Mais le conseil du Seigneur demeure éternellement : les pensées de son coeur subsistent dans toutes les générations.

12 Bienheureuse la nation dont le Seigneur est son Dieu ! [Bienheureux] le peuple qu'il a choisi pour son héritage.

13 Du haut du ciel, le Seigneur a regardé : Il a vu tous les enfants des hommes.

14 De la demeure qu'il s'est préparée, il a porté ses regards sur tous ceux qui habitent la terre.

15 C'est lui qui a formé un à un leurs coeurs, qui connaît toutes leurs oeuvres.

16 Un roi ne se sauve point par sa grande

puissance, et un géant ne se sauvera point par la grandeur de sa puissance. 17 Le cheval est [un espoir] trompeur de salut : malgré l'abondance de sa puissance il ne sera point sauvé.

18 Voilà que les yeux du Seigneur sont sur ceux qui le craignent, et sur ceux qui espèrent en sa miséricorde, 19 afin de délivrer les âmes de la mort, et de les nourrir dans la famine.

20 Notre âme attend avec constance le Seigneur, parce qu'il est notre aide et notre protecteur ; 21 parce que c'est en lui que se réjouira notre coeur, et que c'est en son saint nom que nous avons espéré. 22 Que ta miséricorde, Seigneur, soit sur nous, selon que nous avons espéré en toi.

Pour la fin. Psaume de David.

1 Justes, exultez dans le Seigneur, aux [coeurs] droits convient la louange.

Le titre n'est pas nouveau. En effet ce psaume s'intitule : Pour la fin. Psaume de David. Dans le psaume précédent le psalmiste a traité de sa propre justification, mais dans ce psaume il traite de la dignité des justes : et à ce propos il fait deux choses.

I) Car il commence par exhorter les justes à la louange spirituelle.

Il) Ensuite il exprime leur dignité : 12 Bienheureuse la nation.

I. En exhortant les justes à la louange spirituelle il fait deux choses.

A) Il exhorte d'abord à la joie et à la louange spirituelle.

B) Puis il donne le motif de cette joie et de cette louange : 4 Parce que la parole du Seigneur est droite.

A. En les exhortant à la joie et à la louange spirituelle il fait deux choses.

1) Il commence par exhorter à la joie et à la louange.

2) Puis il fait connaître leur mode : 2 Louez le Seigneur, etc.

1. Il expose donc :

a) D'abord son exhortation.

b) Puis il en donne la raison : aux [coeurs] droits convient la louange.

a. Car il avait dit : « J'ai dit : "Je confesserai contre moi mon injustice au Seigneur", et toi, tu as remis l'impiété de mon péché. C'est pour cela que tout saint te priera au temps favorable. » Donc, Justes, parce que vous êtes justifiés, exultez dans le Seigneur, non dans le monde ; autrement vous n'êtes pas des justes : car n'est pas juste celui qui ne prend pas plaisir à la justice. Or Dieu lui-même est juste, et lui-même est la justice : « Le Seigneur est juste, et il a aimé la justice. » - « Mais moi, je me réjouirai dans le Seigneur, et j'exulterai en Dieu mon Jésus. »

b. Mais pourquoi dit-il : Justes, exultez dans le Seigneur, et non pas : Exultez tous dans le Seigneur ? La raison c'est qu'aux [coeurs] droits convient la louange, c'est-à-dire celle de Dieu. Donc il faut voir s'ils sont droits, et de quelle manière la louange leur convient.

Une chose n'est dite droite que dans la mesure où elle se conforme à sa règle et à sa mesure. Or la mesure et la règle de la volonté humaine sont la justice et la volonté divine. Donc ceux qui n'ont pas une disposition droite ne peuvent pas bien louer Dieu, parce qu'ils refusent de conformer leur propre volonté à la volonté divine, mais veulent plutôt que la volonté divine soit conforme à la leur. Et c'est pourquoi Dieu accomplit une multitude de choses qu'eux-mêmes n'approuvent pas. Mais ceux qui s'adaptent à la volonté de Dieu, ceux-là se réjouissent dans les prospérités comme dans les adversités ; et c'est pourquoi il dit : « Louange pour toutes choses (Collaudatio) », car ils louent en toutes circonstances, non en certaines seulement. De même ils louent unanimement : « La louange n'est pas belle dans la bouche du pécheur. » - « L'exultation sera pour ceux d'Israël qui auront été sauvés. »

2 Louez le Seigneur sur la cithare : jouez pour lui du psaltérion à dix cordes.

2. Ensuite quand il dit : Louez le Seigneur, il expose le mode de la louange et de la joie. Or il faut savoir que dans la louange divine on fait principalement attention à ce que la disposition de l'homme tende vers Dieu, et s'y dirige. Et il faut savoir aussi que les harmonies musicales changent le sentiment de l'homme. Voilà pourquoi Pythagore, voyant qu'un jeune homme se mettait en fureur au son du mode phrygien, fit changer le mode ; ainsi apaisa-t-il l'esprit de l'adolescent en l'amenant à l'état d'esprit le plus soumis, comme le rapporte Boèce au début de son Traité sur la musique. De là vient que pour tous les cultes on a pratiqué des harmonies musicales dans le but d'inciter l'âme humaine à se tourner vers Dieu. Les hommes se sont habitués de deux manières à la pratique de cette harmonie musicale : parfois en recourant aux instruments de musique, mais parfois aux chants. Et c'est pourquoi le psalmiste montre d'abord le premier mode : car il dit : sur la cithare. Puis le deuxième : Chantez-lui. En effet le sentiment de l'homme par les instruments et les harmonies musicaux se dispose à trois choses : car il s'établit parfois dans une rectitude et fermeté d'âme, parfois il est ravi vers la hauteur) parfois il repose dans la douceur et la joie. Et à cette fin, comme le veut le Philosophe dans son ouvrage de la Politique, trois genres de chant ont été institués. Le premier genre comprend le chant dorien, qui correspond au premier et au deuxième ton, comme le veulent certains. Le deuxième genre comprend le chant phrygien, qui correspond au troisième ton. Le troisième genre est le chant hippolydien, qui correspond aux cinquième et sixième tons. Les autres ont été découverts par la suite. Et il en est ainsi pour les instruments, parce que certains instruments donnent le premier ton, comme la flûte et la trompette ; d'autres donnent le deuxième ton, comme l'orgue ; d'autres le troisième, comme le psaltérion et la cithare : « Le psaltérion harmonieux avec la cithare. » Mais parce que le psalmiste a l'intention de nous introduire ici à l'exultation, il ne fait mention que de ces deux instruments, c'est-à-dire du psaltérion et de la cithare. Mais puisqu'il est écrit que « toutes ces choses leur arrivaient en figure », ils utilisaient non seulement les instruments en vue de cela, mais aussi en figure. La cithare donne le son le plus bas, et elle signifie la louange qui jaillit des profondeurs, c'est-à-dire de la terre ; tandis que le psaltérion donne le son le plus haut, et signifie la louange qui a trait aux biens célestes. Et il dit : à dix cordes, parce que par celles-ci sont signifiés les dix préceptes du Décalogue, lesquels renferment toute la doctrine spirituelle.

3 Chantez-lui un cantique nouveau ; psalmodiez bien en son honneur avec des cris de joie.

Ensuite lorsqu'il dit : Chantez, il traite de la voix humaine. Or il faut savoir, selon le sens littéral, qu'il y a une double modulation : car l'une consiste dans le chant tout simplement, l'autre se pratique en jouant sur des instruments. Il fait allusion à la première lorsqu'il dit : un cantique nouveau. À la seconde en disant : avec des cris de joie. Selon le sens spirituel, l'homme doit exulter pour deux raisons. Pour les biens de la grâce reçus, et pour les biens de la gloire attendus. Par les premiers biens nous sommes renouvelés : « Renouvelez-vous dans l'esprit de votre âme. » - « Afin que nous aussi, nous marchions dans une nouveauté de vie » Donc celui-là chante un cantique nouveau, qui exulte en Dieu à cause de la rénovation de la grâce : « Les saints chantaient comme un cantique nouveau. » Mais celui-là accompagne le psaume de ses cris de joie, qui chante à cause des biens de la gloire, et le cantique que l'homme conçoit dans son coeur, il l'exprime en paroles. Ou bien in jubilatione ou in jubilo (avec des cris de joie), selon Jérôme. Or la jubilation est une allégresse ineffable qui ne peut s'exprimer en paroles ; mais la voix fait saisir la plénitude immense des joies. Et les biens qui ne peuvent être exprimés sont ceux de la gloire : « Ce que l'oeil n'a point vu, ce que l'oreille n'a point entendu, et ce qui n'est pas monté au coeur de l'homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment. » Et c'est pourquoi il dit : psalmodiez bien en son honneur avec des cris de joie, parce qu'ils ne peuvent pas être exprimés par le chant. Mais tu diras : dans l'Ancien Testament il y avait des instruments de musique et des cantiques vocaux. Pourquoi l'Église a-t-elle donc laissé de côté ceux-là, mais s'est approprié ceux-ci ? Au sens mystique une double raison est donnée à ce choix. D'abord, parce qu'ils étaient symboliques. La deuxième raison c'est que Dieu est loué en esprit et par la voix, non par des instruments. Une autre raison encore se fonde sur les paroles du Philosophe disant que c'est à l'encontre du bon sens que les hommes se sont formés à la pratique de la lyre et des instruments de musique, parce qu'ils accaparent leur âme dans leur pratique ; alors que la musique doit être simple, afin qu'en se consacrant aux louanges divines les hommes soient détournés des choses matérielles.

4 Parce que la parole du Seigneur est droite et toutes ses oeuvres sont selon sa fidélité. 5 Il aime la miséricorde et la justice : la terre est remplie de la miséricorde du Seigneur.

B. Puis quand il dit : Parce que, il donne le motif de cette joie et de cette louange. Le motif de cette louange et de cette joie est double. Le premier se fonde sur Dieu à propos duquel on doit exulter. Le second se fonde sur ses effets : par la parole du Seigneur.

1. Concernant le premier motif il fait trois choses. Il expose en premier lieu quels en sont les motifs du côté de Dieu.

a. Et d'abord, Parce que la parole du Seigneur est droite, c'est-à-dire l'instruction : « Ta parole est une lampe pour mes pas, une lumière pour mon sentier. » Ou bien la promesse elle-même : « Tous mes discours sont justes, il n'y a rien en eux de dépravé ni de pervers. Ils sont droits pour ceux qui ont de l'intelligence. »

b. Puis, parce que toutes ses oeuvres sont selon sa fidélité, c'est-à-dire fidèles : « Le Seigneur est fidèle dans toutes ses paroles, et saint dans toutes ses oeuvres. » On éprouve beaucoup de joie quand on rencontre un homme fidèle : « Mais un homme fidèle, qui le trouvera ? » Ou bien, selon sa fidélité, dit-il, parce que les oeuvres de Dieu sont des biens méritoires. Mais ces dernières ne le sont que si elles sont pratiquées avec foi, car « sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu. » Ou bien : droite est la parole, et ses oeuvres sont selon sa fidélité. Mais chez qui apparaissent-elles selon sa fidélité ? Chez ses fidèles ; car chez les infidèles les oeuvres de Dieu et les paroles droites n'apparaissent pas.

c. Enfin, parce qu'il aime ; et à cet égard il fait deux choses.

- Car il montre d'abord la disposition de Dieu, lorsqu'il dit : Le Seigneur aime.

- Puis il la manifeste par un signe : la terre est remplie de [sa] miséricorde.

- Parmi toutes les choses qui causent de la joie au Seigneur, il y en a principalement deux : la miséricorde et la justice : « La miséricorde et la vérité gardent le roi. » Par la justice les subordonnés sont défendus. Écarte la justice, et nul ne sera en sécurité et dans la joie. De même, sans la miséricorde, tous craignent et n'aiment pas. Le psalmiste fait comprendre cela à propos de Dieu quand il dit : Le Seigneur aime la miséricorde et la justice. Car il les aime en lui-même, parce que celles-ci sont en action : « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité. » De même, il les aime en chacun de nous : « Je t'indiquerai, ô homme, ce qui est bon, et ce que le Seigneur demande de toi : c'est de pratiquer la justice, d'aimer la miséricorde et d'être vigilant à marcher avec ton Dieu. » Et c'est pourquoi il dit : exultez, parce qu'en vérité Dieu aime la miséricorde ; car la terre est remplie de la miséricorde du Seigneur.

- Voici qu'il manifeste cela par un signe. En effet toute la plénitude de la terre procède de la miséricorde de Dieu, parce que la terre n'est pas remplie de biens temporels, mais de biens spirituels, et surtout après la venue du Christ : « Ils furent tous remplis de l'Esprit-Saint et se mirent à parler des langues diverses, selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer. » Toutes ces choses sont dues à la miséricorde de Dieu : « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. » Et il dit : la terre, etc., non le ciel, car au ciel il n'y a aucune misère, et c'est pourquoi la miséricorde n'est pas nécessaire ; tandis que la terre, sur laquelle l'homme est saturé de multiples misères, a besoin de la plénitude de la miséricorde.

6 Les cieux ont été affermis par la parole du Seigneur, et toute leur puissance par le souffle de sa bouche.

2. Puis quand il dit : par la parole, le psalmiste expose la cause de cette joie par le point de vue des effets divins. Moïse, au début du récit de la création du monde, fait mention de trois choses : du ciel, de l'eau, et de la terre : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre », et un peu plus bas : « L'esprit du Seigneur était porté sur les eaux. »

a) Donc, suivant cela, le psalmiste mentionne d'abord l'effet de Dieu dans les cieux.

b) Puis dans les eaux : Il rassemble.

c) Enfin sur la terre : Que toute la terre craigne le Seigneur.

a. Ainsi dit-il : Les cieux ont été affermis par la parole du Seigneur. Selon la Glose, ce verset est exposé au sens littéral et au sens mystique. Et ces paroles, qui relèvent du point de vue divin, c'est-à-dire du Seigneur, parole (verbum) et souffle (spiritus) de sa bouche, sont interprétées dans les deux sens.

Le mot Seigneur est un nom signifiant la puissance, et le pouvoir est approprié au Père. Le verbe est la conception de l'esprit, c'est pourquoi il est aussi appelé la sagesse engendrée. Et le verbe c'est le Fils, son esprit c'est l'Esprit-Saint. Or on dit souffle (spiritus) de la bouche, parce que la bouche est appropriée à la parole (verbo) ; aussi cela revient-il à exprimer la même chose si l'on dit Esprit (Spiritus) du Verbe ; car lui-même est l'Esprit (Spiritus) du Fils et de la Vérité. Et bien que les oeuvres de la Trinité soient indivises dans les réalités divines : « Tout ce que [le Père] fait, cela le Fils le fait pareillement », cependant ici il parle par appropriation. Au ciel il y a deux choses admirables : sa perpétuité, car il est incorruptible ; et sa puissance grâce à laquelle tout le monde inférieur est changé, c'est-à-dire par la chaleur en été, mais par le froid en hiver.

La perpétuité du ciel relève de la nature de sa forme ; car les formes des éléments sont particulières, et elles ne remplissent pas toute la puissance de la matière : aussi leur matière demeure-t-elle en puissance par rapport à une autre forme. Tandis que la forme du ciel a une certaine totalité, et remplit toute la puissance de la matière. Mais la forme d'une chose créée procède de la forme de l'artisan. Quant à la forme conçue dans le coeur du Père, c'est le Verbe. Donc la formation de toute chose est attribuée au Verbe ; aussi dit-il : Les cieux ont été affermis par la parole du Seigneur.

Mais la puissance des cieux est dans le mouvement. Or tout mouvement venant après dérive de ce qui est le plus en avant comme de sa cause. Le premier mouvement dans les choses qui sont dues à la volonté, est un mouvement d'amour : car tout mouvement dans les choses qui ont de la volonté, est un mouvement de la volonté. Et c'est pourquoi Denys dit dans son traité Des noms divins, que l'amour divin ne tolère pas d'être sans fruit ; il meut lui-même pour opérer, etc. Il est donc nécessaire que la puissance des cieux vienne du souffle ; et c'est pourquoi il dit : et toute leur puissance [vient du] souffle de sa bouche.

Au sens mystique, par cieux on entend les Apôtres : ceux-ci ont été affermis par le verbe du Seigneur, c'est-à-dire du Christ, ou par le Fils du Seigneur ; et telles sont sa supplication et sa doctrine : « Moi, j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas ; et toi, quand tu seras converti, affermis tes frères. » De même leur puissance a été affermie par l'Esprit-Saint : « Restez dans la ville, jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la puissance d'en haut. »

7 Il rassemble comme dans une outre les eaux de la mer : il renferme [comme] dans des trésors les abîmes.

b. Ensuite lorsqu'il dit : Il rassemble comme dans une outre les eaux de la mer, il montre l'effet de Dieu dans les eaux. Or dans les eaux il y a deux choses admirables à considérer.

- La première, c'est que les eaux sont rassemblées en une partie de la terre, et n'occupent pas toute la superficie, ce qui est admirable pour deux raisons. D'abord, parce que l'ordre naturel est tel que l'eau entoure la terre, comme l'air entoure l'eau. Semblablement la mer est plus haute que la terre.

- Puis, et c'est le deuxième sujet d'admiration, parce que même si l'eau s'évapore continuellement à cause de la chaleur du soleil, elle se conserve cependant dans la même quantité. Et c'est pourquoi il dit deux choses. Qu'elles se rassemblent en un seul lieu sous le commandement de Dieu : « J'ai mis le sable pour limite à la mer, précepte éternel qu'elle ne transgressera pas ; et ses flots s'agiteront et ils ne prévaudront pas ; ils se soulèveront et ils ne la dépasseront pas. » - « Qui a enfermé la mer dans des digues, quand elle s'élançait comme sortant d'un sein, lorsque je lui mettais un nuage pour vêtement, et que je l'enveloppais d'obscurité comme des langes de l'enfance ? Je l'ai environnée de mes limites, j'y ai mis un verrou et une porte à deux battants ; et j'ai dit : Tu viendras jusque-là, et tu n'iras pas plus loin. Et ici tu briseras tes flots orgueilleux. » Et c'est pourquoi il dit : Il rassemble comme dans une outre les eaux de la mer. L'eau rassemblée dans une outre s'agite et se soulève, mais elle ne s'écoule pas, parce qu'elle est retenue par la peau de l'outre ; ainsi l'eau dans la mer s'enfle, et cependant ne se répand pas, parce qu'elle est contenue par la puissance divine : « Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu et que la partie aride paraisse. » L'autre chose admirable, c'est que l'eau s'évapore continuellement, et ne diminue pas. C'est pourquoi, ainsi que le font remarquer certains philosophes, sous l'effet de la chaleur du soleil toute l'eau était asséchée suivant les lois de la nature. Aussi le psalmiste dit-il en sens contraire : il renferme [comme] dans des trésors les abîmes. L'abîme, selon Augustin, exprime la profondeur infranchissable des eaux : et il a une double interprétation. Ce mot abyssus se compose de a qui signifie « sans », et de bàsis qui signifie « fondement » ; autrement dit : sans fondement et sans éclat, parce que profond et obscur. Il y a trois choses dans un trésor : Le mot trésor indique une multitude d'or, et ce qui est déposé dans un trésor est conservé ; donc c'est comme si on disait theca (boîte) auri (contenant de l'or). Semblablement, on dépose pour ensuite extraire le contenu à des fins utilitaires. Tout cela est dans l'abîme : parce qu'en lui se trouve une immense abondance ou une multitude d'eaux. Puis dans l'abîme l'eau est conservée et ne tombe pas ; enfin les eaux en sont extraites à des fins utilitaires, quand des vapeurs s'élèvent de celles-ci, que des pluies sont produites et que la terre est irriguée : « Les sources des eaux ont paru. »

Au sens mystique on interprète cela de deux manières : en l'appliquant aux bons et aux mauvais.

Aux bons, en ce sens que par les eaux de la mer nous entendons les peuples : « Les eaux nombreuses que tu as vues, et où la prostituée est assise, sont des peuples, des nations et des langues. » Donc, comme s'il s'agissait des eaux de la mer, il rassemble dans l'Église comme dans une outre les peuples de ce monde. Et l'Église est comparée à une outre a cause de son unité ; et parce que l'outre est faite de peau d'animal mort, il est suggéré par cela que certains viendront à l'Église afin de mortifier ses membres, qui sont sur la terre ; car ils sont comme les cieux. Les Apôtres sont affermis, et par ces derniers les peuples sont rassemblés dans l'Église. il renferme les abîmes, c'est-à-dire la profondeur des sentiments divins, dans des trésors, c'est-à-dire ceux de l'Écriture sainte : « La sagesse et la science seront des richesses de salut ; la crainte du Seigneur est son trésor. » Ou bien, les abîmes d'abord, à savoir les pécheurs fermés et obscurcis par les ténèbres des vices, renfermant des trésors d'or de l'Église. Un grand trésor de l'Église c'est Paul, et Matthieu, et Madeleine, qui avaient été jadis comme une sorte d'abîme.

Mais chez les méchants, par l'eau de la mer on entend la tribulation de cette vie : « Les eaux sont entrées dans mon âme. » Et Dieu affermit les cieux, mais il ne leur ôte pas les faiblesses ; car la grâce protège intérieurement sans supprimer les faiblesses extérieurement. Et c'est pourquoi il dit qu'il rassemble leurs tribulations, à savoir des cieux, c'est-à-dire des hommes célestes, dans une outre, c'est-à-dire dans leur corps, renfermant les abîmes, c'est-à-dire les persécuteurs de l'Église, dans des trésors, parce qu'il ne leur donne pas la liberté de sévir contre l'Église autant qu'ils le veulent.

8 Que toute la terre craigne le Seigneur : qu'à sa présence aussi soient émus tous ceux qui habitent l'univers.

c. Enfin, quand il dit : Que toute la terre craigne, il montre l'effet de Dieu sur la terre.

- Et il commence par donner un avertissement.

- Puis il montre l'effet de Dieu à l'égard de la terre : Car il a dit, et les choses ont été faites.

- Touchant son avertissement il fait deux choses :

· Car il commence par l'exposer.

· Puis il le précise : qu'à sa présence aussi soient émus tous ceux qui habitent l'univers.

· Ainsi dit-il : Que toute la terre craigne le Seigneur. Mais pourquoi donne-t-il un avertissement, alors qu'il a parlé des autres effets sans en user, et que c'est seulement à propos de la terre qu'il en donne un ? La raison est que toute autre créature obéit à Dieu sur son ordre, excepté l'homme terrestre ; et c'est pourquoi il dit : Que toute la terre, c'est-à-dire tout homme terrestre, craigne le Seigneur. - « Crains Dieu, et observe ses commandements ; car c'est là tout l'homme. » Car la locution métonymique est telle que le contenant est pris pour le contenu, ainsi lorsqu'il dit terre, il signifie les habitants de la terre.

· Puis il précise son avertissement, en disant : qu'à sa présence aussi soient émus tous ceux qui habitent l'univers, à savoir par une bonne émotion au service de Dieu : car lui seul attire : « Nul ne peut venir à moi si le Père qui m'a envoyé ne l'attire. »

9 Car il a dit, et les choses ont été faites : il a commandé, et elles ont été créées.

- Ensuite lorsqu'il dit : Car, il montre le double effet de Dieu à l'égard de la terre.

· Et d'abord l'effet de la création.

· Puis de son gouvernement : Le Seigneur dissipe les conseils des nations.

· Dans la création, deux choses sont à prendre en considération : la formation elle-même, et la création elle-même. Et il est question de l'une et de l'autre ici.

Car il montre d'abord la formation elle-même lorsqu'il dit : il a dit, et les choses ont été faites.

Puis la création elle-même, quand il ajoute : il a commandé, etc.

Ainsi dit-il : Car il a dit. Augustin, dans son commentaire de la Genèse, écrit : Toute formation s'accomplit par le Verbe, parce que les choses créées se comportent à l'égard de Dieu comme les oeuvres vis-à-vis de leur artisan. C'est pourquoi, de même que toutes les formes d'une oeuvre sont conçues dans l'esprit de l'artisan, ainsi toute forme des choses est conçue par le Verbe divin. D'où il a dit, c'est-à-dire a conçu le Verbe de toute éternité, et selon cela toutes choses ont été faites, autrement dit : il a engendré le Verbe en qui il était, afin de faire toutes choses, et telle est la formation.

Puis la création, car il a commandé, et elles ont été créées. Car dire implique le verbe (verbum) formé. Commander implique une création de matière informe : « Sa parole est pleine de puissance. » Au sens mystique : il a dit, et les choses ont été faites, par la semence de la grâce : « Tu enverras ton esprit, et ils seront créés. »

· Mais en parlant de l'oeuvre du gouvernement il dit :

10 Le Seigneur dissipe les conseils des nations : il réprouve aussi les pensées des peuples, et il réprouve les conseils des princes.

Parce que le Seigneur qui demeure stable bouleverse toutes choses.

Et le psalmiste expose d'abord le bouleversement de toutes choses.

Puis la stabilité du Seigneur : Le conseil du Seigneur demeure éternellement.

À propos des habitants de la terre, il faut remarquer que certains sont petits, d'autres sont grands ; et les uns et les autres sont bouleversés.

En parlant des petits il dit : Le Seigneur dissipe les conseils des nations ; il réprouve les pensées des peuples. Il traite ici de deux choses, à savoir du propos qui relève de la fin, et du conseil qui relève de ces choses qui regardent la fin. Et cela est bouleversé parce que Dieu n'agit pas selon ce qui est conseillé, mais selon ce qu'il établit : « Formez un conseil et il sera dissipé. » Et c'est ce que le psalmiste dit : Le Seigneur dissipe les conseils des nations. Et il dissipe spécialement le conseil de ceux qui veulent dissiper la loi du Christ. il réprouve aussi les pensées des peuples, ayant la science des choses humaines : car le Seigneur réprouve le propos de ces derniers.

En parlant des grands il dit : et il réprouve les conseils des princes, autrement dit : non seulement il réprouve les conseils des peuples, mais aussi des princes ; car il n'est pas en leur pouvoir d'obtenir l'effet de ce qu'ils ont projeté, car cela relève de l'ordonnance divine : « Il amène les conseillers à une fin insensée. »

11 Mais le conseil du Seigneur demeure éternellement : les pensées de son coeur subsistent dans toutes les générations.

Ensuite quand il dit : Mais le conseil, le psalmiste expose la stabilité de Dieu, parce que son conseil est inébranlable, et que sa pensée persévère.

Mais y a-t-il un conseil en Dieu ? Il semble que non, car il impliquerait une hésitation.

Réponse : le conseil est interprété différemment en Dieu, et différemment en nous. Car la science en nous implique un discours, tandis qu'en Dieu elle implique une certitude. Ainsi à propos du conseil, lorsqu'il est en nous, il exprime une recherche ; mais lorsqu'on l'applique à Dieu, il implique une ordonnance à l'égard de toutes les choses qui tendent vers la fin qui leur est due : « Mon conseil sera inébranlable, et toute ma volonté s'exécutera. » - « Si le conseil est de Dieu, vous ne pourrez pas le détruire. » les pensées de son coeur, c'est-à-dire le propos de sa volonté, demeurent : car s'il change de sentence, il ne change pas son conseil : « Car mes pensées ne sont pas vos pensées, ni vos voies mes voies. »

12 Bienheureuse la nation dent le Seigneur est son Dieu ! [Bienheureux] le peuple qu'il a choisi pour son héritage.

II. Plus haut le psalmiste a exhorté les justes à la joie ; ici il expose leur dignité ; et à cet égard il fait deux choses.

A) Car il expose d'abord leur dignité ;

B) puis il l'éprouve : Du haut du ciel.

A. La dignité des saints est souveraine, parce qu'eux seuls parviennent à la fin que tous les hommes désirent naturellement. Si un ou peu d'hommes parvenaient au bonheur unique auquel tous désirent parvenir, ce serait une grande dignité. Or tous désirent tendre à la béatitude, à laquelle seuls les justes parviennent, parce qu'ils l'obtiendront en plénitude dans le futur, mais à présent de manière inchoative et en espérance. Donc la dignité des justes est grande. À propos de leur béatitude commencée ici-bas et aboutissant à sa plénitude dans la vie future, il traite de deux choses : de sa matière et de sa cause : le peuple.

Ainsi dit-il : Bienheureuse la nation. Au sujet de la béatitude, divers sont ceux qui la comprirent de manière différente. Et selon les diverses opinions émises à son endroit, il y a une diversité de doctrines philosophiques. Car certains établirent la béatitude dans les biens matériels, tel Épicure. Certains dans les oeuvres de la vie active, comme les stoïciens. D'autres dans la contemplation de la vérité, comme les péripatéticiens. Chercher la béatitude dans ce qui est au-dessous de nous est chose vaine, car la béatitude est au-dessus de nous. Et ce qui est au-dessus de nous, c'est Dieu. Donc la béatitude de l'homme c'est d'adhérer à Dieu. Or chaque chose est parfaite dans la mesure où elle adhère à son propre bien. Et le bien propre de l'homme c'est Dieu : « Pour. moi, mon bien est de m'attacher à Dieu. » Or quelqu'un peut s'attacher à Dieu par l'esprit, c'est-à-dire par l'intelligence et la volonté, non par les sens, parce qu'ici-bas ils sont aussi communs aux animaux sans raison. Donc l'homme adhère à Dieu de deux manières : en le contemplant et en le connaissant par l'intelligence, et en l'aimant par l'affection. Et parce que ces actes sont imparfaits en cette vie, ils seront en revanche parfaits dans la Patrie ; c'est pourquoi ici-bas la béatitude est imparfaite, tandis que là elle est parfaite. Et c'est pourquoi il dit : Bienheureuse la nation. Et pourquoi ? Parce que le Seigneur est son Dieu, c'est-à-dire a un esprit uni à Dieu. C'est pour cela que le psalmiste dit : Bienheureuse la nation dont le Seigneur est son Dieu. - « Dieu ne rougit pas d'être appelé leur Dieu. »

Mais quelle en est sa cause ? Est-ce la nature, le hasard, ou la puissance propre ? Non. Mais c'est l'élection divine : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis. » Et de même : « Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m'a envoyé ne l'attire. » Et c'est pourquoi il ajoute : le peuple qu'il a choisi. Autrement dit, ils sont bienheureux, parce que choisis par Dieu : « Il nous a élus en lui avant la fondation du monde. » Et cela pour son héritage, c'est-à-dire afin que nous soyons nous-mêmes son héritage. L'héritage implique une possession stable. Or Dieu possède toutes choses par sa seigneurie. Mais seuls les justes lui sont soumis par la volonté : d'où il les a choisis pour son héritage, c'est-à-dire pour avoir une justice éternelle : « La justice est perpétuelle et immortelle. » - « Mon héritage est Israël. » Donc le Seigneur est leur Dieu, parce qu'ils jouissent de lui. Et eux-mêmes sont l'héritage de Dieu, parce qu'ils lui sont assujettis.

13 Du haut du ciel, le Seigneur a regardé : Il a vu tous les enfants des hommes.

B. Ensuite quand il dit : Du haut du ciel, il éprouve leur dignité par l'examen du jugement divin : et à ce propos il fait trois choses.

1) Il parle d'abord de la certitude du jugement divin.

2) Puis de la vanité de la prospérité humaine : 16 Un roi ne se sauve point.

3) Enfin de l'efficacité de la grâce dans les saints : 18 Voilà que les yeux du Seigneur.

1. En parlant de la certitude du jugement divin il fait deux choses.

Puisque la certitude du jugement divin se manifeste par son élévation et par sa causalité, le psalmiste montre cette certitude :

a) D'abord par la première raison,

b) puis par la seconde : 15 C'est lui qui a formé.

a. Il montre donc :

- D'abord cette certitude.

- Puis il écarte un doute : 14 De la demeure qu'il s'est préparée.

- Plus une puissance est élevée dans sa hiérarchie et dans son genre, plus elle est efficace pour les oeuvres qui conviennent à cette puissance. Et c'est pourquoi plus une puissance cognitive est subtile, plus elle est efficace dans l'acte de la connaissance. Rien n'est à ce point sublime que l'intelligence divine, aussi son efficacité dans l'acte de connaître est-elle souveraine. Et voilà pourquoi le psalmiste dit : Du haut du ciel, c'est-à-dire de la hauteur de la majesté divine. Car de même qu'il n'y a rien de plus élevé parmi les réalités matérielles que le ciel, ainsi il n'y a rien de plus élevé dans les réalités spirituelles que Dieu. Et donc parce qu'il regarde depuis la hauteur, il voit tous les enfants des hommes ; car plus il voit de haut, plus nombreux sont ceux qu'il voit : « Toutes les voies de l'homme sont ouvertes à ses yeux. »

14 De la demeure qu'il s'est préparée, il a porté ses regards sur tous ceux qui habitent la terre.

- Ensuite quand il dit : De la demeure qu'il s'est préparée, il écarte un doute. Car certains ont cru que Dieu habite dans les cieux, comme si depuis des régions éloignées il n'avait pas la connaissance des choses humaines : « Il parcourt les pôles du ciel, et il ne s'occupe pas de ce qui nous regarde. » Le psalmiste exclut cela en disant : De la demeure qu'il s'est préparée, autrement dit : nul ne la prépare. Car il serait sot le roi qui se préparerait un trône d'où il ne pourrait pas diriger son royaume ; et c'est ce que dit le psalmiste : De la demeure qu'il s'est préparée, c'est-à-dire du ciel qu'il se prépara afin qu'il soit sa demeure : non en vérité parce qu'il s'empare de lui, mais parce que sa gloire brille sur lui. il a porté ses regards, dit-il, sur tous ceux qui habitent la terre, c'est-à-dire sur la chair, en la dominant : « Qui est comme le Seigneur notre Dieu, qui habite dans les lieux les plus élevés, et regarde les choses basses dans le ciel et sur la terre. » - « Le Seigneur dans le ciel a préparé son trône ; et son empire dominera sur toutes choses. » Ou bien : Du haut du ciel, c'est-à-dire le Christ a regardé par ses Anges ou par ses Apôtres avec l'oeil de sa miséricorde pour sauver les hommes.

15 C'est lui qui a formé un à un leurs coeurs, qui connaît toutes leurs oeuvres.

b. Puis quand il dit : C'est lui qui a formé, il prouve la certitude de la connaissance divine par sa causalité : et à ce propos il fait deux choses.

- Car il expose d'abord sa causalité.

- Puis il conclut sur la certitude de sa connaissance : qui connaît.

- Il serait insensé de dire de quelqu'un accomplissant une oeuvre efficace qu'il en ignore l'usage ; car il agirait en vain, puisque l'usage est sa fin. Et c'est pourquoi le psalmiste dit ailleurs : « Celui qui a formé l'oeil ne voit-il pas ? » Comment donc peut-il se faire qu'il accomplisse quelque chose de proportionné à la connaissance des particuliers sans les connaître lui-même ? Or l'homme connaît les choses individuelles par son intellect, par son âme et par son coeur. Donc Dieu qui crée ce coeur les connaît. Et remarquez que les mots ont leur poids. Car il a dit : coeurs, afin d'exclure l'unité de l'intelligence en tous : car les divers habitants de la terre ont des intelligences diverses. Et il dit : un à un, afin de montrer que l'âme n'est pas double ; autrement il n'aurait pas dit avoir formé un à un, mais bien une âme à partir de laquelle il les aurait formées toutes, et ainsi semblablement une à une. Donc lui-même a formé chaque âme par lui, c'est-à-dire par la création, puisque l'âme est une substance subsistante par elle-même, non par la matière. Semblablement il a dit : a formé, afin de montrer que cela ne se fait pas à partir de la substance de Dieu, autrement on ne dirait pas formée, mais consubstantielle. Et il dit expressément a formé, parce que façonner, c'est le propre des potiers qui impriment une belle forme à une matière vulgaire ; de la même manière Dieu infuse l'âme en créant un corps fait d'argile : « Nous avons ce trésor en des vases d'argile. » « Est-ce qu'un ouvrage dit à celui qui l'a façonné : "Pourquoi m'as-tu fait ainsi ?" »

- Et de cela il conclut qu'il connaît toutes leurs oeuvres : car celui qui connaît la cause, connaît l'effet. Et la cause de tous les effets humains c'est le coeur. Or Dieu connaît le coeur ; donc aussi ses oeuvres. Il a formé s'entend de la production de la grâce, et cela un à un, parce qu'« il y a des grâces diverses ». Et cela parce que lui-même connaît leurs oeuvres en aidant, et en promouvant.

16 Un roi ne se sauve point par sa grande puissance, et un géant ne se sauvera point par la grandeur de sa puissance. 17 Le cheval est [un espoir] trompeur de salut : malgré l'abondance de sa puissance il ne sera point sauve.

2. Plus haut le psalmiste a montré la dignité des saints par la certitude du jugement divin, certitude à partir de laquelle il a eu l'intention de prouver la dignité des saints ; maintenant, dans cette partie, il montre la vanité de la prospérité humaine : et à ce propos il fait deux choses.

a) Car il montre d'abord qu'aucun pouvoir temporel ne peut acheminer les hommes vers le salut des justes.

b) Puis il montre que la miséricorde de Dieu accomplit cela : Voilà que les yeux du Seigneur.

a. Ainsi dit-il : Un roi ne se sauve point. Mais parce que le pouvoir séculier est triple : un premier consistant dans la multitude des sujets, un autre dans la force corporelle, et un autre enfin dans les richesses extérieures ; c'est pourquoi il montre qu'aucun de ces derniers ne peut mener au salut.

Et il fait d'abord allusion au premier pouvoir, et il s'agit du pouvoir royal ; et c'est pourquoi il dit : Un roi ne se sauve point par [sa grande] puissance. Une version de Jérôme lit : in multitudine (par la multitude). - « Ne vous confiez pas dans les princes, ni dans les fils des hommes, dans lesquels il n'y a pas de salut. » Bien plus s'ils obtiennent quelquefois le salut, c'est grâce à Dieu : « Ô toi, qui donnes le salut aux rois. »

Puis il montre que le salut n'est pas dans la force corporelle ; aussi dit-il : et un géant ne se sauvera point par la grandeur de sa puissance, c'est-à-dire de sa force : « Là ont vécu ces géants de renom qui vécurent dès le commencement, ces géants d'une haute stature et sachant la guerre. »

Enfin, il montre que le salut n'est pas dans les richesses. Et il expose deux soutiens : le cheval et l'abondance des biens extérieurs.

En parlant du premier soutien il dit : Le cheval est [un espoir] trompeur, c'est-à-dire si grande que soit la possession d'un bon cheval, cependant l'homme ne peut être sauvé corporellement ou spirituellement : « Le cheval est préparé pour le jour du combat, mais c'est le Seigneur qui donne le salut. »

En parlant du second soutien il dit : il ne sera point sauvé malgré l'abondance de sa puissance, c'est-à-dire l'abondance des biens extérieurs : « Celui qui se confie dans ses richesses tombera précipitamment. » - « Malheur à ceux qui descendent en Égypte pour [y chercher] du secours, qui espèrent dans des chevaux. »

Au sens mystique, moral et allégorique, on explique cela de la manière suivante : l'homme ne se sauve pas par sa propre puissance, quel que soit le bien qu'il possède. Or il y a un triple bien par lequel il semble que l'on puisse obtenir le salut.

Le premier est la puissance ; et en parlant de cela il dit : Un roi ne se sauve point par sa grande puissance. Mais s'il est puissant pour régir les autres, il ne tient pas cela de sa propre puissance, mais de Dieu.

Le deuxième bien est la constance ; et il ne tient pas celle-ci de sa propre puissance ; aussi dit-il : et un géant ne se sauvera point par la grandeur de sa puissance.

Le troisième bien est la bonne disposition du corps et la vigueur ; aussi dit-il : Le cheval est [un espoir] trompeur, c'est-à-dire le corps fort et robuste est trompeur. Ou bien universellement parlant : malgré l'abondance de sa puissance il ne sera point sauvé, c'est-à-dire quelle que soit l'origine de son aptitude au bien, il n'est pas sauvé sans que Dieu ne lui accorde le salut : « Pour moi j'ai dit dans mon abondance, je ne serai jamais ébranlé. » Et c'est ce qui est écrit dans Jérémie : « Que le sage ne se glorifie point dans sa sagesse ; que le fort ne se glorifie point dans sa force, et que le riche ne se glorifie point dans ses richesses. »

18 Voilà que les yeux du Seigneur sont sur ceux qui le craignent, et sur ceux qui espèrent en sa miséricorde, 19 afin de délivrer les âmes de la mort, et de les nourrir dans la famine.

3. Ensuite lorsqu'il dit : Voilà que les yeux, il montre l'efficacité de la miséricorde divine pour sauver.

a) Et il expose d'abord la miséricorde qui sauve.

b) Puis le sentiment que les saints conçoivent en considérant celle-ci : Notre âme.

a. En parlant de la miséricorde qui sauve il fait trois choses.

- Car il commence par montrer la miséricorde divine.

- Puis il montre sur qui la miséricorde divine produit son effet : sur ceux qui le craignent.

- Enfin quel effet elle produit : afin de délivrer.

- Ainsi dit-il : Voilà que les yeux du Seigneur. Car il suggère la miséricorde divine par le regard de Dieu : « Jette un regard sur moi, et aie pitié de moi. »

- Sur qui il jette son regard, il le dit quand il ajoute : sur ceux qui le craignent, et sur ceux qui espèrent en sa miséricorde.

- « Tes yeux sont purs, afin de ne pas voir le mal ; et tu ne pourras pas regarder l'iniquité. » Jette donc un regard sur ceux qui ont de la crainte et de l'espérance. L'une sans l'autre ne suffit pas ; car la crainte sans l'espérance désespère, et l'espérance sans la crainte présume. Mais la crainte naît de la considération de la puissance divine : « Qui ne te craindra pas, ô roi des nations ? » Tandis que l'espérance naît de la considération de la miséricorde divine. De la première naît la fuite du péché, de la seconde l'espérance du pardon.

- Et il montre l'effet de la miséricorde divine lorsqu'il dit : afin de délivrer leurs âmes de la mort et de les nourrir dans la famine. Il y montre un double effet : car il libère du mal ; et à ce propos il dit : afin de délivrer de la mort. Semblablement il affermit dans le bien ; et à cet égard il dit : Et les [nourrit].

· Il dit donc : afin de délivrer leurs âmes de la mort, de la mort corporelle, de la mort du péché, et de la mort de la damnation future à la résurrection : « Je les délivrerai de la mort, je les rachèterai de la mort ; je serai ta mort, ô mort ; je serai ta morsure, ô enfer : la consolation s'est cachée à mes yeux. »

· Il affermit aussi dans le bien ; aussi dit-il : et de les nourrir dans la famine, c'est-à-dire dans la nécessité ; et il parle de l'aliment corporel : « Les yeux de tous espèrent en toi, Seigneur, et tu donnes leur nourriture en temps opportun. » Et de l'aliment spirituel : « L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Et de l'aliment sacramentel : « Ma chair est vraiment une nourriture. » - « C'est dans un lieu de pâture qu'il m'a placé. »

20 Notre âme attend avec constance le Seigneur, parce qu'il est notre aide et notre protecteur ; 21 parce que c'est en lui que se réjouira notre coeur, et que c'est en son saint nom que nous avons espéré.

b. Puis quand il dit : Notre âme, il montre quel effet cette considération engendre en ceux-ci. Et cet effet est double.

- Le premier effet est d'espérer.

- Le second effet est de prier : Que ta miséricorde, Seigneur, soit sur nous, selon que nous avons espéré en toi.

- Concernant le premier effet il fait deux choses.

· Il montre d'abord comment naît en eux l'effet de l'espérance.

· Puis il en donne la raison : parce qu'il est notre aide.

· Ainsi disait-il donc : Voilà que les yeux du Seigneur sont sur ceux qui le craignent, etc. Et c'est pourquoi Notre âme attend avec constance le Seigneur, c'est-à-dire si quelques maux nous sont envoyés par Dieu, nous les supportons avec patience : « Vous avez appris la patience de Job. » Semblablement, nous sommes dans l'attente de ses promesses. Il attend donc celui qui punit et celui qui promet.

· Et il y a une double raison à cela. L'une est due à l'expérience des bienfaits passés ; mais l'autre est due à l'espérance des bienfaits futurs : en lui se réjouira. L'expérience des bienfaits est dans l'élévation aux biens ; aussi dit-il : parce qu'il est notre aide. De même, dans la protection contre les maux ; et c'est pourquoi il dit : et notre protecteur. Mais nous espérons la joie future ; aussi dit-il : c'est en lui que se réjouira notre coeur, c'est-à-dire dans sa vision : « Vous verrez et votre coeur se réjouira. » - « Alors tu abonderas en délices dans le Tout-Puissant, et tu élèveras ta face vers Dieu. » Et cette joie est ici-bas imparfaite, mais là, c'est-à-dire dans la Patrie, elle est parfaite. Et cela, parce qu'en son saint nom nous avons espéré. Car il est mis ici « et » pour « parce que ». Son saint nom est le nom de sa miséricorde, ce qui revient à dire : nous nous réjouirons, parce qu'en son saint nom nous avons espéré, c'est-à-dire dans sa bonté, ou dans sa miséricorde, et non dans nos mérites.

22 Que ta miséricorde, Seigneur, soit sur nous, selon que nous avons espéré en toi.

- Ensuite quand il dit : Que ta miséricorde soit, il expose le second effet qui est de prier ; car la prière est l'interprète de l'espérance, et c'est pourquoi elle suit l'espérance. Et quoique tout bienfait particulier soit dû à la miséricorde divine, deux sont cependant spécialement dus à celle-ci. Le premier est le bienfait de l'Incarnation : « Par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, avec lesquelles est venu nous visiter le soleil se levant d'en haut, pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l'ombre de la mort, pour diriger nos pas sur le chemin de la paix. » Que ta miséricorde soit, c'est-à-dire afin d'assumer la chair et de nous libérer, sur nous, c'est-à-dire au-dessus de nos mérites. L'autre bienfait est celui du salut ; et ce bienfait est sur nous, car « ce n'est point par les oeuvres de justice que nous avons faites qu'il nous a sauvés, mais selon sa miséricorde. » selon que nous avons espéré en toi, car « nul n'a espéré dans le Seigneur et n'a été confondu. »


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