COMMENTAIRE DU PSAUME 54, 1-16
1 Pour la fin. Dans les cantiques. Intelligence de David.
2 Exauce, ô Dieu, ma prière, et ne méprise pas ma supplication.
3 Prête attention à moi, et exauce-moi. J'ai été contristé dans mon exercice : et j'ai été troublé 4 à la voix de l'ennemi, et à cause de la tribulation du pécheur. Parce qu'ils ont détourné sur moi des iniquités ; et dans leur colère ils me tourmentaient.
5 Mon coeur a été troublé au-dedans de moi ; et la frayeur de la mort est tombée sur moi. 6 Crainte et tremblement sont venus sur moi ; et les ténèbres m'ont couvert.
7 Et j'ai dit : « Qui me donnera des ailes comme [les ailes] d'une colombe, et je m'envolerai, et je me reposerai. »
8 Voilà que je me suis éloigné en fuyant : et je suis demeuré dans la solitude.
9 J'attendais celui qui m'a sauvé de la pusillanimité de [mon] esprit et de la tempête.
10 Précipite-les, Seigneur, divise leurs langues ; parce que j'ai vu l'iniquité et la discorde dans la cité.
11 Jour et nuit l'iniquité l'entourera sur ses murs : le travail est au milieu d'elle, 12 ainsi que l'injustice. L'usure n'a pas fait défaut dans ses places publiques, ni la fraude.
13 Car si c'eût été mon ennemi qui m'eût maudit, je l'aurais supporté certainement. Et si celui qui me haïssait avait parlé contre moi avec hauteur, je me serais sans doute caché de lui.
14 Mais c'est toi, homme qui vivais avec moi dans un même esprit, mon guide et mon familier, 15 qui partageais avec moi les doux mets [de ma table] ; nous avons marché dans la maison du Seigneur avec un parfait accord.
16 Que vienne la mort sur eux ; et qu'ils descendent dans l'enfer tout vivants, parce que la méchanceté est dans leurs demeures, au milieu d'eux.
1 Pour la fin. Dans les cantiques. Intelligence de David.
2 Exauce, ô Dieu, ma prière, et ne méprise pas ma supplication.
Plus haut le psalmiste a montré l'insulte de ses ennemis à son égard. Ici il expose sa libération d'entre eux. Et il commence par demander d'être libéré de tous ses ennemis en général. Puis il demande d'être libéré plus spécialement de certains d'entre eux : « Arrache-moi à mes ennemis. »
Concernant sa demande en général il fait deux choses. Il implore d'abord le secours de Dieu contre les maux qu'il souffre de la part de ses ennemis. Puis il rend grâce de ce qu'il a été exaucé : « Aie pitié de moi, ô Dieu, aie pitié de moi. »
En implorant de Dieu son secours il fait deux choses. Il souligne d'abord la gravité des maux dont il souffre, quant à la tristesse. Puis quant à la constance de la tribulation : « Aie pitié de moi, ô Dieu, parce que l'homme m'a foulé aux pieds. »
Dans ce psaume, selon la Glose, le psalmiste parle en son nom en exprimant les tribulations elles-mêmes dont il souffrait. Il peut aussi être appliqué à la personne de l'Église ou d'un homme juste, ou du Christ en tant qu'il préfigure notre faiblesse.
Ce psaume s'intitule : Pour la fin. Dans les cantiques. Intelligence de David. Et le sens de intellectus David c'est : ce psaume est intelligence de David, Dans les cantiques. Et il est intitulé de l'intelligence, pour que celui qui est dans la tribulation sache reconnaître les maux qu'il souffre, ainsi que les biens qu'il attend, selon ce verset des Proverbes : « [Quant] au coeur qui connaît l'amertume de son âme, un étranger ne se mêlera pas dans sa joie. »
Ce psaume se divise en trois parties.
I) Car le psalmiste expose d'abord la tribulation qu'il souffrait.
II) Puis la malice de ses ennemis : 10 Précipite-les.
III) Enfin, il rappelle le secours de Dieu qui lui est offert : 17 Mais moi vers Dieu.
I. En exposant sa tribulation il fait deux choses.
A) Il formule d'abord sa prière de demande, afin d'être exauce.
B) Ensuite il fait connaître sa tribulation : J'ai été contristé.
A. Ainsi dit-il : Exauce, ô Dieu, ma prière ; cela signifie que lorsqu'un homme affirme ce qu'il demande, ce dernier répète sa prière ; et ce n'est pas superflu, car la répétition de la prière excite le désir : « La prière assidue du juste peut beaucoup. » Parfois on obtient ce qu'on demande, bien que la prière ne soit pas acceptée par Dieu, comme lorsque le pécheur demande, mais l'objet même de sa demande mérite l'indignation : « Il leur accorda leur demande, et il leur envoya le rassasiement de leurs âmes. » - Mais « leurs nourritures étaient encore dans leur bouche, quand la colère de Dieu tomba sur eux ». Souvent celui qui est en colère accorde ce qu'il refuse dans sa bienveillance. Et c'est pourquoi il dit : et ne méprise pas ma supplication.
La prière de quelqu'un est méprisée pour deux raisons. Ou bien lorsqu'il ne demande pas à bon droit, ou bien parce qu'il demande non avec piété mais avec orgueil : « Il a été attentif à la prière des humbles, et il n'a point méprisé leur demande. » La prière du Pharisien fut rejetée, parce qu'il demanda avec orgueil. Mais différente est la demande du psalmiste : « Que ma prière soit dirigée comme l'encens en ta présence. »
3 Prête attention à moi, et exauce-moi. J'ai été contristé dans mon exercice : et j'ai été troublé 4 à la voix d'un ennemi, et à cause de la tribulation du pécheur. Parce qu'ils ont détourné sur moi des iniquités ; et dans leur colère ils me tourmentaient.
Ici le psalmiste décrit l'ordre suivant lequel Dieu agrée une prière, c'est-à-dire quand il tient pour acceptée une prière ou une demande, car celui qui demande n'est pas agréé par sa prière, mais la prière de ceux qui doivent être agréés est acceptée par la demande. D'où ce qui est écrit dans la Genèse : « Le Seigneur a regardé Abel [d'abord,] et [puis] ses présents. » Prête attention à moi, c'est-à-dire accepte-moi. Ou bien prête attention à mon affliction : « J'ai vu l'affliction de mon peuple en Égypte, et j'ai entendu sa clameur à cause de la dureté de ceux qui président aux travaux. » et exauce-moi. - « Exauce, ô Dieu, ma prière lorsque je supplie. »
B. J'ai été contristé. Le psalmiste fait connaître ici ses tribulations.
1) Et il expose d'abord la cause de sa tribulation.
2) Puis sa gravité.
3) Enfin son remède.
1. La cause de sa tribulation fut la tribulation qu'il souffrait. Cela convient aussi au Christ : « Mon âme est triste jusqu'à la mort. » Or cette tribulation peut être considérée quant à son fruit, son mode et son motif.
Le fruit de la tribulation des saints est leur exercice de la justice, comme dans l'apprentissage des armes ; et c'est pourquoi il dit : dans mon exercice, c'est-à-dire dans la tribulation que tu envoies pour mon exercice.
Cependant il est écrit dans les Proverbes : « Rien ne contristera le juste quoiqu'il lui arrive. »
On répondra à cette objection en disant que le juste n'est pas contristé par la tristesse du siècle qui tend à la mort, mais par la tristesse de la pénitence qui est selon Dieu. Ou bien il faut dire qu'il y a une tristesse qui est une passion ; et cette dernière imite matériellement la passion, mais elle ne s'abat point sur l'homme sage. Il y en a une autre appelée propassion, laquelle est un mouvement subit : et cette tristesse-là fut dans le Christ. Et il y a un double exercice dans la justice. L'un est assumé : « Exerce-toi à la piété. » L'autre exercice est infligé, comme c'est le cas ici.
Le mode de la tribulation est double. Le premier est dans les paroles, c'est-à-dire en menaçant. L'autre, lorsque la tribulation est causée par des actes, c'est-à-dire en persécutant.
En parlant du premier mode il dit : j'ai été troublé à la voix [de l']ennemi. Quelqu'un est troublé lorsque la tranquillité du coeur s'éloigne totalement. à la voix [de l']ennemi menaçant et blasphémant : « Mon héritage est devenu pour moi comme un lion dans la forêt. »
En parlant du second mode il dit : à cause de la tribulation du pécheur, c'est-à-dire qu'il m'a infligée : « Nombreux sont ceux qui me persécutent. »
Le motif de cette tribulation est double. Parfois ils souffrent tribulation à cause d'une certaine malice ; parfois à cause de la passion.
A propos de la malice il dit : Parce qu'ils ont détourné sur moi des iniquités, c'est-à-dire ont exécuté sur moi l'iniquité qu'ils avaient pensé perpétrer.
A propos de la passion il dit : et dans leur colère ils me tourmentaient. - « Maudite leur fureur, parce qu'elle est opiniâtre, et leur indignation, parce qu'elle est implacable. »
3 Mon coeur a été troublé au-dedans de moi ; et la frayeur de la mort est tombée sur moi. 6 Crainte et tremblement sont venus sur moi ; et les ténèbres m'ont couvert.
2. Le psalmiste expose ici la gravité de la tribulation selon trois points de vue. Car elle est proche, grande et agissante.
Lorsque quelqu'un veut souligner la gravité de sa douleur, il dit qu'il a été touché jusqu'au coeur. Et c'est pourquoi il dit : Mon coeur a été troublé au-dedans de moi, autrement dit, il est blessé non extérieurement mais jusque dans son coeur : « Mes entrailles sont pleines de douleur. »
Grande est aussi la tribulation, parce qu'il n'est pas de mal plus grand parmi les réalités du monde que la mort. Aussi dit-il : la frayeur de la mort, c'est-à-dire la crainte de la mort, est tombée sur moi, parce que Saül voulait le tuer.
La tribulation est également agissante, car la crainte lorsqu'elle est forte produit un double effet : l'un sur le corps, c'est-à-dire le tremblement ; l'autre sur l'âme, à savoir le trouble. Et c'est pourquoi il dit : 6 Crainte et tremblement de mort sont venus sur moi, c'est-à-dire sur les forces de mon âme, et les ténèbres m'ont couvert, c'est-à-dire la stupeur m'a enveloppée. Ou bien : les ténèbres, c'est-à-dire du mal : « Elles m'ont environné comme des abeilles. »
7 Et j'ai dit : « Qui me donnera des ailes comme [les ailes] d'une colombe, et je m'envolerai, et je me reposerai. »
3. Plus haut le psalmiste a exposé l'affliction du coeur qu'il a endurée ; maintenant il expose le remède qu'il a utilisé ; et ce remède consiste principalement à s'adonner à la contemplation, précisément parce qu'il est souvent accablé par les oeuvres de la vie active. Selon Grégoire, les maux qui nous oppriment ici-bas nous contraignent à marcher vers Dieu. Et à ce propos le psalmiste fait trois choses.
a) Il fait d'abord connaître son désir de vie contemplative.
b) Puis il montre ce qu'il a fait en s'y disposant : s Voilà que je me suis éloigné en fuyant.
c) Enfin ce qu'il attend pour être parfait par Dieu : 9 J'attendais.
a. Dans la contemplation trois choses sont requises : la facilité de contempler, l'acte de la contemplation, et son effet.
- La facilité est signifiée par les ailes. D'où ces paroles, tandis qu'il était accablé par la vie active : J'ai dit : « Qui me donnera des ailes comme [les ailes] d'une colombe », considérant qu'il n'a pas de moyen pour échapper à cette affliction si ce n'est par la contemplation, et qu'il n'a pas la facilité de s'échapper parce qu'il n'a pas d'ailes pour pouvoir voler.
Il y a trois sortes d'ailes selon trois exigences que réclame la contemplation.
En effet elle requiert d'abord la régulation dans les affections vicieuses, régulation qui est une certaine disposition à la contemplation ; et celle-ci s'acquiert par les vertus morales. Aussi les ailes sont-elles les vertus morales, comme la patience, l'humilité, etc. : « La guérison sera dans ses ailes. »
Une autre sorte d'aile est la charité, qui suscite surtout l'envol vers la contemplation : « Et les ailes de l'un étaient jointes à celles de l'autre. »
Une autre sorte d'aile est la sagesse ; et par les ailes de la sagesse la vérité est contemplée, car sans ces ailes on glisse facilement vers des erreurs lorsque les réalités divines sont contemplées. A propos de ces ailes il est écrit dans Isaïe : « Ils prendront des ailes comme des aigles », lesquels signifient la sagesse par leur vol élevé. Ces exigences que réclame la contemplation sont appelées ailes, parce qu'elles ne sont pas entièrement possédées et qu'elles sont données comme étant pour ainsi dire absolument possédées. Et toutes ces choses sont données par Dieu. Parfois elles sont données à certains qui, tout en étant en possession de ces ailes, sont entravés dans leur usage, et c'est par exemple le cas des prélats quand ils reçoivent leur siège. Et il dit : des ailes comme [les ailes] d'une colombe, non d'un corbeau. Car le corbeau n'est pas revenu vers l'arche, tandis que la colombe y est retournée portant un rameau d'olivier verdoyant. Ils volent comme des corbeaux, ceux qui ne reviennent pas vers l'arche par la disposition de la sainteté, car ils ne pensent à rien si ce n'est qu'à eux-mêmes, c'est-à-dire comment rechercher la vérité, à la manière des Philosophes ; mais ils volent comme des colombes ceux qui et contemplent, et reviennent vers le prochain pour lui enseigner les réalités contemplées, ceux qui portent dans leur bouche le rameau de l'olivier verdoyant, dispensant au prochain l'huile de la miséricorde. Comme la colombe est un animal pur, aimable, gémissant, ainsi les saints se montrent aimables à l'égard de leur prochain et ont de la compassion pour lui. Semblablement la colombe est un animal simple ; et les saints aussi ont la simplicité : « Soyez simples comme des colombes. »
- L'acte de la contemplation est signifié par le vol : je m'envolerai. Dans l'Écriture sainte la progression des bonnes oeuvres est désignée par un triple mouvement animal, c'est-à-dire par la marche : « Marchez tant que vous avez la lumière. » Par la course : « J'ai couru dans la voie de tes commandements lorsque tu as dilaté mon coeur. » Et par le vol : « Ils voleront et ne défailliront pas. » La marche est désignée par les vertus morales, grâce auxquelles l'homme vit avec humanité. La course par la charité. Le vol par la contemplation.
Selon Richard de Saint Victor, la contemplation se diversifie comme le vol chez les oiseaux. Tantôt les oiseaux volent haut, tantôt ils volent bas, tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt en avant et en arrière, tantôt en cercle. Tantôt certains tournent sur place, ou avancent ou reculent. Ainsi pareillement dans la contemplation, monter c'est considérer les causes sublimes, descendre c'est considérer les effets infimes. De même, aller en avant c'est considérer davantage les contraires, lesquels contiennent des effets multiples ; aller en arrière c'est considérer les particuliers. Semblablement aller à droite et à gauche c'est considérer certaines circonstances. On procède de manière circulaire quand on considère le côté accidentel des choses ; mais lorsque le point de vue individuel est signifié alors on est en état de repos.
- L'effet est signifié lorsqu'il dit : et je me reposerai, c'est-à-dire dans la considération. Ce repos est acquis après cette vie : « Entrant dans ma maison, je reposerai avec elle. » Et dans la Patrie : « En paix tout à la fois je m'endormirai et je reposerai. »
8 Voilà que je me suis éloigné en fuyant : et je suis demeuré dans la solitude.
b. Ici le psalmiste expose sa disposition à contempler.
- Et il montre d'abord ce qu'il a évité.
- Puis ce qu'il a observé.
- Il a évité les obstacles de la contemplation, qui sont principalement au nombre de deux : la préoccupation des affaires de ce monde et le péché. Et ces deux choses doivent être évitées, à savoir avec rapidité et énergie.
Avec rapidité, de telle sorte qu'il ne tarde pas ; et c'est pourquoi cela doit être fait aussitôt. Aussi dit-il : en fuyant. - « Comme à l'aspect d'un serpent fuis le péché. » - « Ah ! ah ! fuyez de la terre de l'aquilon. »
Avec énergie, de telle sorte que non seulement les actes peccamineux mais aussi ses occasions soient évités. Et c'est pourquoi il dit : je me suis éloigné, autrement dit, j'ai quitté toutes les occasions du péché : « Ne t'arrête point dans toutes les régions d'alentour. »
- Parfois quelqu'un demeure dans un lieu de solitude, parce qu'il y demeure corporellement, parfois par l'âme, car au milieu des troubles il pense aussi aux réalités selon Dieu : « Je l'amènerai dans la solitude. » - « Il s'assiéra solitaire. » Et ces versets, selon la Glose, sont commentés différemment selon qu'on les applique au Christ, qui a des ailes à cause de sa charité, qui s'envola de chez les Juifs et se reposa parmi les nations païennes, qui s'est éloigné des Juifs et demeura dans la foi des nations païennes, qui était une solitude.
9 J'attendais celui qui m'a sauvé de la pusillanimité de [mon] esprit et de la tempête.
c. Ici il montre ce qu'il attend de Dieu, à savoir le secours divin qui est l'achèvement de son désir : J'attendais celui qui m'a sauvé de la pusillanimité de [mon] esprit et de la tempête. Ainsi dit-il : celui qui m'a sauve. Et pourquoi ? Parce que lui seul est Sauveur. Et de quoi sauve-t-il ? De deux choses à cause desquelles il semblait être troublé : la première est de se servir de ses ailes, à savoir de sa possibilité, parce qu'il souffrait au milieu des hommes. Une autre est la tristesse du coeur, parce qu'il croit trouver ici-bas le repos. Aussi dit-il : de la pusillanimité de [mon] esprit. Est trop audacieux celui qui cherche à obtenir le repos au milieu des troubles : « Dites aux pusillanimes : Prenez courage. » et de la tempête, c'est-à-dire de la tribulation des hommes sauve-moi, aussi bien de la temporelle que de la spirituelle.
10 Précipite-les, Seigneur, divise leurs langues ; parce que j'ai vu l'iniquité et la discorde dans la cité.
II. Dans la partie précédente le psalmiste a exposé l'affliction qu'il a endurée de la part des méchants ; ici il traite de leur malice. Et en décrivant la malice des pécheurs,
A) il demande d'abord d'en être préservé ;
B) puis il demande qu'elle soit punie d'un châtiment : 16 Que la mort vienne sur eux.
A. À propos de la description de la malice des péchés il fait deux choses.
1) Il demande d'abord d'être préservé de leur malice.
2) Puis il la décrit : parce que j'ai vu l'iniquité.
1. Les méchants ont doublement le pouvoir et la puissance de nuire, c'est-à-dire en raison de leur condition élevée, et de l'unanimité de leur consentement sur un seul dessein. Cette situation est dangereuse, et c'est pourquoi un double remède doit être utilisé contre cela.
Un premier remède consiste à les faire déchoir de leur condition. Un autre remède consiste à établir une division entre eux.
Concernant le premier remède il dit : Précipite-les, Seigneur, c'est-à-dire en les éloignant de leur condition, autrement dit : fais-les déchoir en les humiliant.
Concernant le second remède il dit : et divise leurs langues, parce que leur malice est d'abord dans leur langue avec laquelle ils parlent orgueilleusement : « Ne multipliez point des paroles hautaines », et parce qu'en parlant avec leur langue ils consentent au mal. Et l'exemple d'une telle division est décrite dans l'Ancien Testament, là où il est question de la division des langues des nations.
2. parce que j'ai vu l'iniquité. Ici le psalmiste décrit leur malice.
a) Et il décrit d'abord la malice commune de la multitude en général.
b) Puis en particulier : 11 Jour et nuit.
a. Dans la multitude il y a un double désordre. L'un vient de la part des princes. L'autre de la part du peuple.
Car la cité est ordonnée lorsque les princes gouvernent avec justice et que le peuple obéît ; autrement elle n'est pas bien ordonnée. Et cette cité représente le monde dans lequel les princes ne gouvernent pas avec justice, et dans lequel le peuple n'obéit pas. Mais la cité de Dieu est bien ordonnée. Donc dans la cité du monde j'ai vu l'iniquité et la discorde. J'ai vu l'iniquité de la part des princes et des juges : « Vos assemblées sont iniques. » De même j'ai vu la discorde chez les dignitaires : « Ton peuple est comme la boue qu'on foule. »
11 Jour et nuit l'iniquité l'entourera sur ses murs : le travail est au milieu d'elle, 12 ainsi que l'injustice. L'usure n'a pas fait défaut dans ses places publiques, ni la fraude.
b. Jour et nuit. Ici il le montre en particulier. Or dans toute cité il y a trois choses, à savoir les murs qui l'entourent, l'habitation au milieu, et les places. Et le Philosophe distingue trois genres d'hommes. Par murs on entend les chefs et les notables de la cité qui protègent le peuple comme les murs protègent la cité : « Comme une ville ouverte, et sans enceinte de murailles ; ainsi est l'homme qui ne peut, en parlant, retenir son esprit. » - « Sur tes murs, Jérusalem, j'ai établi des gardes », c'est-à-dire des chefs et des dirigeants : « Tes princes sont infidèles. » Et jour, en mettant la malice à exécution, et nuit, en la méditant. Ou bien Jour, dans la prospérité, et nuit, dans l'adversité. Aussi dit-il : l'iniquité [les] entourera sur ses murs, c'est-à-dire l'injustice des chefs entourera la cité du monde, comme les murs entourent une cité. Le centre de cette cité c'est le peuple au milieu duquel est le travail, ainsi que l'injustice, à savoir quant au mal qu'ils font ; et ainsi leur ardeur à commettre le mal est soulignée lorsqu'il dit le travail, imposé : « Ils ont travaillé à agir iniquement. » - « Nous nous sommes lassés dans la voie de l'iniquité. »
Et la forme elle-même du mal est mentionnée, lorsqu'il dit : ainsi que l'injustice. Et cela s'entend au sens passif de l'injustice dont ils souffrent de la part des supérieurs, ainsi que du travail imposé. Les places sont les lieux publics, et elles représentent ceux qui exercent des charges publiques, comme les négociants en qui est manifestée l'injustice, par exemple dans les usures : « Celui qui n'a point donné son argent à usure. » Et c'est pourquoi il dit : L'usure n'a pas fait défaut dans ses places publiques. Il en est de même pour les choses occultes, aussi dit-il : ni la fraude.
13 Car si c'eut été mon ennemi qui m'eut maudit, je l'aurais supporté certainement. Et si celui qui me haïssait avait parlé contre moi avec hauteur, je me serais sans doute caché de lui.
Ici il décrit la malice d'une personne en particulier et chef parmi la multitude.
Et peut-être cela se réfère-t-il ou bien à Saül, ou bien à Doëg l'Iduméen.
- Et il expose d'abord ce qui peut être toléré d'une certaine manière.
- Puis il expose ce qui n'est pas tolérable.
- Est tolérable d'une certaine manière le fait que l'homme endure la persécution de la part de ses ennemis. Et c'est pourquoi il décrit d'abord la persécution des ennemis.
· Et en premier lieu du côté de l'ennemi qui persécute.
· Puis du côté de l'ami persécuteur.
· Enfin du côté de celui qui endure la persécution.
· On dit quelquefois d'un ennemi qu'il persécute, c'est-à-dire quand il manifeste son inimitié extérieurement : « Ne te fie jamais à ton ennemi. » Quelquefois quand il manifeste son inimitié à l'égard d'un ennemi en gardant de la haine dans son coeur : « Ne hais point ton frère dans ton coeur. »
· Mais du côté du persécuteur il y a une différence, car parfois celui qui persécute dit expressément du mal de celui qu'il persécute, soit en médisant, soit en injuriant. Et ce genre de persécution est appelée malédiction. C'est pourquoi il dit : Si c'eût été mon ennemi qui m'eût maudit. - « Leur bouche est pleine de malédiction et d'amertume ; leurs pieds sont prompts à verser le sang. » Parfois il ne dit pas expressément du mal, mais il garde une mesure en l'exprimant, parce qu'il parle avec mépris.
· Du côté de celui qui subit il y a aussi une diversité, car parfois il écoute les opprobres et les supporte avec patience : « Vous avez appris la patience de Job. » C'est pourquoi il dit : je l'aurais supporté certainement. Parfois il se cache loin de la face de son ennemi. Aussi dit-il : je me serais sans doute caché de lui. - « Ne résiste pas en face de ton ennemi. » - « Jésus se cacha. »
Ainsi, en parlant de la diversité des persécuteurs, il dit : divise leurs langues, etc., car non seulement je souffre de l'ennemi, mais aussi de l'ami.
En parlant de l'ami il dit : Si celui qui me haïssait avait parlé contre moi avec hauteur, je me serais sans doute caché de lui. Mais c'est toi, homme qui vivais avec moi dans un même esprit.
14 Mais c'est toi, homme qui vivais avec moi dans un même esprit, mon guide et mon familier, 15 qui partageais avec moi les doux mets [de ma table] ; nous avons marché dans la maison du Seigneur avec un parfait accord.
- Ici le psalmiste expose le mal qui n'est pas tolérable, c'est-à-dire le fait qu'il souffre l'injustice de la part de ses amis, car il n'est pas de peste plus agissante pour nuire que l'ennemi familier.
· Et il décrit l'inimitié d'abord en parlant des choses intérieures.
· Puis en parlant de la familiarité extérieure : qui partageais avec moi.
· En parlant des choses intérieures il décrit le mal selon trois choses.
D'abord selon la concorde de la voix : « Gardez l'unité d'un même. » Et c'est pourquoi il dit : Mais c'est toi, homme qui vivais avec moi, autrement dit, tu as médit de moi ; et c'est pourquoi c'est intolérable. Suivant cela on peut parler de Saül, dont il était familier. Mais la Glose commente ce passage au sens mystique de trois manières.
Selon une première manière, en tant que cela convient au fidèle.
Selon une autre manière, en tant que cela convient au Christ à l'égard des Juifs.
Selon une troisième manière, en tant que cela convient au Christ à l'égard de Judas.
Ainsi donc selon une première manière, n'importe quel fidèle peut dire cela lorsqu'il souffre persécution de la part d'un autre fidèle.
Selon une deuxième manière, le Christ peut le dire à propos des Juifs qui furent unanimes, parce qu'ils se lièrent à ses commandements : « Tout ce que le Seigneur nous a commandé, nous le ferons, et nous serons obéissants. »
Enfin le Christ peut le dire en parlant de Judas qui s'était lié à ses conseils.
Et quand il dit : mon guide, on expose cela également de trois manières.
D'abord, en tant que quelqu'un peut être appelé guide, parce qu'il donne un bon conseil ainsi que son aide, et puis soulève une persécution : « Ne vous fiez pas à un guide. »
Puis, on peut l'appliquer au Christ vis-à-vis des Juifs, lui qui est mon guide sans me conduire, mais qui a été établi par moi guide des nations : « Tu te flattes d'être le guide. »
Ou bien cela peut s'appliquer aux prêtres qui sont les guides dans le peuple. Le Christ dit à l'apôtre Judas : toi, tu as été constitué guide par moi, tout d'abord parce que tu es un guide du peuple chrétien aux côtés des autres qui doivent guider : « Les princes de Juda, leurs chefs. » Ou bien il est appelé guide, parce qu'il a été établi par le Christ avec ceux qui le précédaient partout où lui-même devait aller.
Un fidèle peut dire à un autre fidèle : mon familier, 15 qui partageais avec moi les doux mets [de ma table], parce qu'ils vivent ensemble dans l'Église.
De même le Juif qui vivait selon la parole de Dieu fut familier du Christ
Et il en était de même pour Judas, puisque le Christ a connu par avance sa malice : « L'un de vous est un démon. »
· Ensuite l'amitié consiste en la familiarité extérieure. Et cela se manifeste dans deux domaines, c'est-à-dire d'abord dans les choses matérielles et humaines. Puis dans les réalités divines.
Dans les choses matérielles et humaines, ceux-là témoignent mutuellement de l'amitié qui partagent ensemble la table. Et si on entend cela du Christ parlant à Judas, comme le rapporte la Glose, il partageait avec le Christ les mets matériels à sa table : « Celui qui mangeait mon pain, a fait éclater sur moi sa trahison. » Et il dit : doux, car les mets de ceux qui mangent ensemble donnent habituellement une disposition de douceur d'âme : « L'ami est le compagnon de la table. » Au sens matériel, on peut aussi appliquer cela à n'importe quel familier.
Il y a également des mets spirituels que Judas avait pris avec le Christ, à savoir la parole de Dieu : « Elle le nourrira du pain de vie et d'intelligence. » Dieu les appelle mets, parce que les paroles de Dieu sont plus suaves que n'importe quel mets matériel : « Que tes oracles sont doux à mon palais, plus que le miel à ma bouche. »
Dans la deuxième partie du verset il dit donc : nous avons marché avec un parfait accord. Jérôme, dans son commentaire sur Matthieu, dit qu'il n'est pas de chose qui contribue autant à l'incrédulité que la diversité de la foi et du culte divin. Et cela a lieu surtout au temps de la persécution, lorsque les pères persécutent leurs fils, et vice versa. Et ainsi l'unité de la foi et de la religion est surtout un lien d'amour ; et c'est pourquoi c'est une très grande malice que de persécuter ceux qui pratiquent un même culte. Et il arrive de deux façons que certains appartiennent à des cultes différents.
Dans un premier cas, parce que l'un n'appartient pas totalement au culte d'un autre, par exemple lorsque l'un est chrétien, et l'autre est juif ou païen ; et ceux-là ne sont pas ensemble dans la maison de Dieu. Parfois les uns et les autres appartiennent à la même religion, cependant ils ne sont pas dans un parfait accord, par exemple le catholique et l'hérétique ; et il exclut ces deux formes de dissensions lorsqu'il dit : nous avons marché avec un parfait accord dans la maison du Seigneur, c'est-à-dire dans l'Église, qui est la maison de Dieu.
Dans le second cas, lorsqu'il dit : avec un parfait accord. - « N'ayez tous qu'un même langage. »
Mais si nous appliquons cela aux Juifs, alors dans la maison, cela signifie dans Jérusalem. Et le Christ y fut pareillement avec Judas, parce qu'il n'a pas rejeté le lien avec la Loi ancienne : « Je ne suis pas venu abolir la Loi et les prophètes, mais les accomplir. »
16 Que vienne la mort sur eux ; et qu'ils descendent dans l'enfer tout vivants, parce que la méchanceté est dans leurs demeures, au milieu d'eux.
B. Ici le psalmiste demande que leur soit appliqué un juste châtiment.
1) Et il demande qu'un châtiment soit infligé.
2) Puis il montre leur faute.
1. A propos de l'infliction d'un juste châtiment, il faut savoir qu'on expose ici l'histoire que rapporte le livre des Nombres, lorsque Dathan et Abiron se révoltèrent. Moïse fit s'éloigner les autres d'eux, et dit que le Seigneur ferait une chose inouïe si la terre s'ouvrait, etc. ; et aussitôt la terre s'ouvrit et les engloutit. Ainsi le psalmiste dit en faisant allusion à cette histoire : Que vienne sur eux la mort, autrement dit, qu'un châtiment vienne sur eux parce qu'ils commettent une nouvelle faute en persécutant l'ami, c'est-à-dire le Christ ; et doublement. D'abord en tant que la première demande détermine l'autre, autrement dit : Que vienne la mort, telle qu'ils descendent en enfer. Ou bien, en tant qu'il y a deux châtiments : l'un étant un châtiment de mort et l'autre étant la descente en enfer. Car en cette circonstance Dathan et Abiron, qui étaient des princes, ont été punis autrement, puisqu'ils furent engloutis ; tandis que les autres furent tués par l'incendie qui eut lieu dans le camp.
En s'adressant à ceux qui sont inférieurs il dit : Que vienne la mort sur eux. En s'adressant aux plus grands il dit : et qu'ils descendent dans l'enfer. Dans ces derniers est signifié un double châtiment que le psalmiste ne souhaite pas, mais qu'il proclame. L'un qu'ils obtiendront en enfer après cette vie ; l'autre qu'ils subissent ici en cette vie. Après cette vie ils subiront la mort de la damnation éternelle : « La solde payée par le péché, [c'est] la mort. » - « La mort du pécheur est affreuse. » Mais en cette vie ils descendent en enfer, c'est-à-dire dans le gouffre des vices : « L'impie, lorsqu'il est descendu au fond de l'abîme du péché, se moque, mais la honte et l'opprobre le suivent. » Ou bien : qu'ils descendent tout vivants après cette vie, c'est-à-dire qu'ils descendent avec la disposition qu'ils ont, qui est leur vie, dans l'enfer.
Ou bien si on le dit sous forme de souhait, alors on l'expose de la manière suivante : la mort, c'est-à-dire de la justice par laquelle on meurt intérieurement au péché : « Vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. »
qu'ils descendent tout vivants, de la vie de la justice, dans l'enfer, en le considérant, selon ce verset d'Isaïe : « Au milieu de mes jours j'irai aux portes de l'enfer. » Et ceux qui prennent les châtiments en considération pour y échapper, descendent dans l'enfer tout vivants, et n'y descendront pas mourants : « Rappelle-toi tes fins dernières, et jamais tu ne pécheras. »
2. parce que la méchanceté est dans leurs demeures, au milieu d'eux. Le psalmiste expose ici la justification du châtiment.
a) Il expose d'abord leur faute cachée.
b) Puis leur faute visible.
a. Il fait allusion à cette histoire que rapporte le livre des Nombres : « Moïse se leva, alla vers Dathan et Abiron, et, les anciens d'Israël le suivant, il dit à la multitude : "Retirez-vous des tentes de ces hommes impies, et ne touchez pas ce qui leur appartient, de peur que vous ne soyez enveloppés dans leurs péchés." » On appelle méchanceté les péchés occultes : « Marchons honnêtement, comme en plein jour, ne nous laissant point aller aux excès de la table et du vin, à la luxure et a l'impudicité, aux querelles et aux jalousies. » Aussi dit-il : dans leurs demeures, c'est-à-dire en secret.
b. En disant : au milieu, c'est-à-dire en public, il expose leur faute visible : « Comme Sodome, ils publient leur péché. » - « Si tu ôtes de toi l'iniquité qui est dans ta main, et que l'injustice ne demeure point dans ta tente, alors, étant sans tache, tu pourras lever ta face. » Il y a deux genres de fautes : elles sont parfois dues à une brusque action subreptice, parfois à la malice. Le premier péché qui est dû à une brusque action subreptice est comme extérieur à l'homme. Au deuxième livre des Rois, Nathan fait allusion sous forme de parabole à un étranger, c'est-à-dire à la concupiscence qui entra brusquement en David. Aussi une autre version ne lit-elle pas : in tabernaculis (dans leurs tentes), mais in hospitiis (dans leurs hôtelleries), qui sont comme des lieux de passage selon la Glose. Le sens est que le péché est comme naturel, parce qu'il est au milieu d'eux, c'est-à-dire au milieu du coeur.
Deo gratias.